Les Résidents : Le mythe de l’Ossuaire

Jeff Lemire, Andrea Sorrentino et Dave Stewart posent une nouvelle pierre à l’édifice du Mythe de l’Ossuaire avec Les Résidents aux éditions Urban Comics. Sa lecture mène aux frontières de l’irrationnel. Le pitch ? Les portes de l’enfer s’invitent à la fête des voisins, les réjouissances s’étalent sur près de 312 pages.

Est-il judicieux de vivre en communauté ? Les raisons sont nombreuses pour se lancer dans l’aventure telles que favoriser les interactions sociales, apprendre des autres, nouer des amitiés, s’entraider etc.

Par contre si ces règles de vie ne sont pas respectées, l’expérience peut rapidement dégénérer. Les locataires auraient la désagréable impression d’être cloîtrer. Ils se croiseraient comme des fantômes dans les couloirs. La politesse serait réduite à son strict minimum. Bonjour, bonsoir, circulez y’a rien à voir. Les frictions ici et là vireraient à une guerre de paillassons.

Hélas, ceci est le quotidien que partagent plusieurs habitants d’un même immeuble de banlieue. Le collégien Isaac, sa mère et médecin urgentiste Amanda, le dealer Justin, l’artiste toxicomane Tanya, le joueur compulsif Bob, le gardien de parking Garry ainsi que le retraité Félix en font les frais fréquemment.

Dès lors qu’Isaac rentrera en possession d’un passe-partout lui permettant d’accéder à un monde parallèle, les forces cachées en présence s’empresseront de déverser le mal à l’état pur à chaque accès ou issue de secours.

Ils sont sept à devoir descendre sept étages menant à un carrefour de sept directions. Seulement voilà, réussiront-ils à s’extirper de cette immondice de béton ou suivront-ils la voie d’une tragédie prophétique ?

Après Gideon Falls, Primordial, Le Passage et Des Milliers de plumes noires, Jeff Lemire construit patiemment son univers personnel et occulte en apportant bon nombre de réponses aux intrigues laissées en jachère dans les volumes précédents. Il plie le surnaturel à sa volonté et renverse les stéréotypes établis à sa guise. L’auteur sait brouiller les pistes, le danger fusionné à l’obscurité entraîne un large casting de personnages dans une machination ésotérique redoutable. Lemire développe la dynamique de groupe, multiple les subplots et adopte différents points de vue afin de donner de la consistance au récit principal. Il combine ses thèmes de prédilection comme la famille, l’existence, les épreuves et la mort au sein d’une histoire torturée voire sinistre. Les Résidents est une incursion glauque à l’intérieur d’une réalité mouvante, une exploration de la condition humaine qui perd le contrôle aux relents de Jugement dernier.

Andrea Sorrentino et Dave Stewart exécutent une mise en page en constante mutation. Leur composition lourde et sale en atmosphère se taille dans le marbre. Le séquençage est déstabilisant, l’illustrateur déploie un graphisme anxiogène. Le dessin détone par un excès de puissance et de violence, le style est acéré et nerveux. Le storytelling regorge de perspectives improbables en abusant de cases à bords perdus. Les planches s’habillent de plages d’ombres. L’encrage est abrasif, les textures râpeuses appuient un réel souillé. Dave Stewart parachève l’ensemble d’une luminescence insalubre, les pointes de rouge vif se manifestent en permanence. Les pigmentations grisonnantes et polluées distillent une imagerie perturbante, la colorisation numérique maintient que trop bien la tension. Andrea Sorrentino et Dave Stewart jouent sur la juxtaposition de la masse et la lumière, tout est question d’opposition équilibrée.

En conclusion, il n’y a parfois aucune différence entre le salut et la damnation.

Chronique de Vincent Lapalus.

#voisins #surnaturel #conditionhumaine


© Urban Comics, 2025.

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