SIMON & LUCIE Les ciels changeants

Tu pars pour un petit moment détendant de lecture avant de dormir, et quand tu refermes le livre, t’es déjà demain… 320 pages parcourues sans t’en rendre compte… t’as pleuré, t’as souri, t’as tourné des pages, incrédule, prise aux tripes, giflée par la violence des sentiments qui secouent les protagonistes, touchée par cette candeur propre aux amours juvéniles… et puis tu l’as senti cette instabilité latente… tu l’as senti que ça pouvait prendre une tournure moins romanesque… forcément tu t’es un peu identifié aussi…

Simon et Lucie, les ciels changeants est le fruit d’un travail aussi colossal que réussi d’Alain Kokor. Il s’est attelé avec brio à la mise en bandes dessinées de trois productions théâtrales distinctes de Diastème : La Nuit du thermomètre écrite en 2001, 107 ans en 2004 et La Paix dans le monde en 2019. Edité chez Payot et Rivages , ce bel opus en couverture cartonnée fait partie de la collection Virages graphiques

Il y a Lucie, et il y a Simon… et il y a l’amour quand t’as 14 ans… puis 18 ans… puis 25 ans… puis tu perds le fil des années parce qu’en vrai l’amour n’a pas d’âge… Il y a la mère, veuve et alcoolique, de Lucie et le père, divorcé et plus intéressé par la gente féminine que par son fils, de Simon…

Assez vite, l’auteur nous entraîne dans leur univers, vieux quartiers urbains tranquilles, adolescents sac au dos, parents occupés ailleurs… Lucie crée des portraits assemblés originaux, cartons, cutter et colle ; Simon grave Lucie en lui, peau, cutter et pansement… Effroi, passion, pulsions, toxicité amoureuse, sentiments réels et forts, mal-être et absence de communication s’enchevêtrent jusqu’à la rupture ; chemins qui divergent et sentiments qui se tordent, se dissolvent, résistent et renaissent. On suit Simon, de son séjour de plusieurs années en hôpital psychiatrique jusqu’à son travail dans une bibliothèque en Suisse, toujours Lucie et sa carrière de plasticienne en filigrane.

Alain Kokor couche sur les planches de son ouvrage autant de douceur que de force ; dessin réaliste au trait noir très évocateur, décors souvent succincts mais pourtant suffisants, à-plats de couleurs plutôt neutres qui emplissent les vignettes, fond blanc et découpage géométrique des cases concentrent l’attention du lecteur sur l’essentiel : les ressentis.

Très sensible à l’environnement sonore, j’ai apprécié les ponctuations musicales discrètes distillées avec soin par l’auteur ; une façon supplémentaire d’éprouver l’intensité du récit.

Laissé libre par Diastème d’adapter ses trois écrits séparés, le dessinateur réussit haut la main le pari d’en tirer une substance cohérente, puissante et sans fioritures. Souvent la bande dessinée, la lecture en général, ça t’emmène « ailleurs »… Ici le voyage est plutôt intérieur, touche à l’intime de chacun et interroge sur les sentiments, leurs valeurs, la façon de les vivre et de les livrer au monde. Lecture fortement recommandée !!

Le mot de la fin je préfère leur laisser ; Simon à Lucie : « Je ne suis même pas jaloux. Je t’aime, c’est tout. »

Chronique de Louna Angèle.


© Virages graphiques, 2024.

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