Dire que j’étais très impatient de lire la nouvelle bande dessinée des auteurs de RIP est un doux euphémisme. Pour leur nouvelle création éditée par Petit à Petit, ils ont choisi d’adapter un roman de William Kotzwinkle, « The Fan Man », paru aux USA en 1974 et traduit par Nicolas Richard.
J’ai été un peu décontenancé durant les premières pages par la découverte d’ Horse Badorties. L’ olibrius se réveille dans sa turne, sale, débordante d’objets improbables, de restes alimentaires, de joints, de graisse et infestée de cafards. Il confond l’évier avec son fauteuil.
Son lieu de vie n’est pas sans rappeler les intérieurs bien glauques visités lors de la précédente série des deux auteurs. Le lecteur ne sait pas à ce stade à qui il a affaire. A-t-il toute sa tête ? Est-il dépressif, psychotique (il doit se reposer dix minutes après s’être levé, il éprouve de grandes difficultés pour sortir de chez lui et souffre des tocs de vérification) ?
Est-il drogué ? Sûrement tout ça à la fois ! Le scénariste ne nous prend pas par la main, ne donne pas d’explication de texte.
Son look est celui d’un baba cool, d’un junkie à longue barbe. Gaet’s et Julien Monier le présentent comme « un doux dingue qui a un petit syndrome de Diogène, un peu junkie, SDF et rêveur. Un mix entre Don Quichotte et Las Vegas Parano, un big Lebowski d’un NYC des années 70 ».
Horse Badorties évolue dans le New York new age des seventies. Une fois sorti de chez lui, muni de son ventilateur japonais et de sa casquette du commandant Duchmoll de l’armée rouge impériale chinoise, il se met à la recherche de « poulettes » pour leur distribuer des partitions et les recruter pour sa chorale de l’amour.
À partir de ce moment, nous cessons de chercher des intentions rationnelles quant à son comportement, nous réalisons alors que nous avons affaire à un doux dingue qui ingère des substances hallucinogènes. Nous nous laissons porter par le récit jubilatoire de ses aventures et délires.
Les séquences, souvent drôles et hilarantes s’enchaînent et nous nous en délectons :
Il se drogue dans le métro, ce qui donne lieu à des scènes désopilantes, notamment lorsqu’il se remémore ses vies antérieures.Il passe la nuit dans une cabine téléphonique et souhaite se rendre au Rockefeller Center où est enregistrée la célèbre émission The Tonight Show de la NBC afin de communiquer autour de sa chorale, mais sur le chemin, il se retrouve devant le Muséum d’Histoire Naturelle. Il s’y introduit et arrive à accéder au ventilateur principal de l’établissement, le Graal pour lui. Le scénariste se permet une petite référence drôle à « Dinodyssée », une autre de ses créations. Cette scène d’anthologie est l’occasion de constater que Julien Monier dessine magistralement les dinosaures.
Malgré sa bizarrerie ou grâce à elle, le héros est rapidement attachant.
Le travail de Gaet’s sur le vocabulaire et la diction de Horse est époustouflant, permettant au lecteur de mieux mesurer la folie du personnage. Les dialogues et soliloques sont soignés et le découpage dynamique facilite la lecture.
Les planches sont splendides, Julien Monier retranscrit merveilleusement le New-York des années 70 ; ses buildings, ses bâtiments , la mode, l’atmosphère. Les dessins sont réalistes, détaillés et parfois caricaturaux. Les planches de transition, sur une pleine page, donnent un bel aperçu de son talent.
Le format de l’album (130 pages) est généreux. Un adjectif qui sied également aux deux artisans de cette histoire hors norme, dont la lecture, certes déroutante au début, est réjouissante et stimulante. C’est une lecture à remettre dans le contexte des années 70 qui peut être prolongée par celle de l’œuvre originale et de sa préface inimitable signée Kurt Vonnegut Jr.
Chronique de Gedeon Groidanmamaison


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