BLOOD MOON

L’alliance des roses et d’une illustration cadavérique des plus ténébreuses m’attire irrésistiblement, malgré sa noirceur. Dès la couverture, je sens que Blood Moon, « un récit complet d’horreur spatiale, par Bones », ne sera pas une lecture comme les autres. Le Label 619, qui édite ce bel album volontairement vieilli aux angles, me conforte dans mon ressenti en apposant en première et quatrième de couverture : « disapproved by the comics code authority » (désapprouvé par une organisation qui n’existe plus depuis 2011). Et en effet, le polar est bien noir, les corps tourmentés, l’hémoglobine au rendez-vous. Les conditions extrêmes de l’exploitation minière M-Mining 03, située sur la lune, ajoutent des dangers à un scénario monstrueux… Le dessin, aux traits anguleux et couleurs profondes, est un régal d’ambiances de base lunaire, de plans rapprochés, d’explosions… L’esthétique prend le pas sur le dégoût, et l’histoire, emplie de suspense, se lit avec avidité. Une belle découverte qui invite à sortir plus souvent de sa zone de confort ! Toute ressemblance avec le scénario d’un milliardaire obnubilé par la conquête spatiale, et privilégiant les intérêts personnels à la survie de l’humanité serait purement fortuite…

Le meurtre est sordide – un homme retrouvé crucifié, mutilé des yeux. L’autopsie l’est encore plus : elle révèle des anomalies dans l’organisme… Et c’est le premier meurtre sur ce site spatial… Mais pas le dernier. Un autre, tout aussi glauque, arrive rapidement, avec en prime une signature gravée au couteau sur la langue de la victime. Ce corps, c’est celui du collaborateur du patron, Monsieur Thomas… Mais celui-ci semble avoir des soucis plus grave, vu son état de santé… L’affaire se densifie, avec un accident de décompression à la clé. Ah, et, aussi, des tirs à arme à feu qui se multiplient… Et d’autres meurtres. Vous l’aurez compris, le rythme est soutenu, l’intrigue obscure, de quoi vouloir tirer les ficelles de ce scénario enlevé. Benjamin, dit Ben, le flic chargé de l’enquête, sent qu’il avance en terrain miné, a fortiori quand il reçoit une liste de hauts-placés… Quel secret les amènerait à tuer ? Accrochez-vous, le final sera en apothéose !

Bones déroule avec aisance son style : traits aux arrêtes marquées, trames à l’américaine qui densifient les corps, variété des angles de vue, cadrages resserrés. Les couleurs sont entières, des tons gris-jaune posent une ambiance de désert à l’éclairage artificiel. Les aplats noirs s’épaississent pour donner une belle place aux ombres, offrant des contre-jours saisissants. La page se fait globuleuse, quand elle n’est pas envahie de débris et fumées. Le spectacle est presque pyrotechnique, de tirs de feux croisés au décollage d’une fusée. Décors et éléments spatiaux ne sont pas oubliés, des rovers aux infrastructures apparentes, dans un style industriel. Les tenues cosmonautes oranges ont un côté rétro – à moins qu’elles ne fassent échos à certaines tenues de prisonniers… Et dans cet univers masculin, le moonraker est un lieu à part, tout en nuances roses et violettes, offrant les services de prostituées forcément vulnérables. L’ensemble offre une qualité graphique indéniable, je me surprends à prendre du plaisir alors que je nage dans l’effroi le plus total.

Est-ce un spoiler ? Quand les oligarques décident de s’écarter de l’intérêt général, quitte à mettre en œuvre des technologies dangereuses, ça finit mal ! Mais si, au moins, à la fin, la vérité peut triompher… Conclusion : Bones est décidément très bon, et les sorties du label 619 toujours surprenantes !

Chronique de Mélanie Huguet.


© Label 619, 2024.

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