WØrldtr33

Lors de sa création, internet a été pensé comme un merveilleux outil qui permet de suivre l’actualité en direct et de maintenir les liens entre des personnes géographiquement éloignées. WØrldtr33 des éditions Urban Comics passe de l’autre côté du miroir, là où l’horreur dématérialisée fait ressurgir ce qu’il y a de plus malsain chez l’être humain. James Tynion IV, Fernando Blanco et Jordie Bellaire explosent les pare-feux et nous filent des cheveux blancs.

2024 en Pennsylvanie, Gibson Lane a 15 ans. C’est un adolescent héritier de la génération portable et tablette. Son grand frère Ellison s’inquiète de son comportement erratique depuis leur dernière discussion téléphonique, ce qui l’incite à prendre la route. Malheureusement, il arrivera trop tard dans l’état du nord pour empêcher un drame. Le temps du trajet, Gibson pète un câble et tue une soixantaine de personnes (hommes, femmes et enfants compris) puis s’amuse à poster les vidéos de ses meurtres sur les réseaux.

Un petit retour en arrière s’impose !

1999, Gabriel Winter a 18 ans comme la majorité de ses camarades de fac. La magie du net s’ouvre à lui et il s’y plonge avec frénésie, un peu trop peut-être. Gabriel parcourt le Web, découvre le Dark Web et décèle l’existence de l’Undernet. Ce monde immatériel abrite quelque-chose de malfaisant, un accès vers une réalité alternative néfaste capable de transformer n’importe quel utilisateur lambda en tueur psychopathe.

Il décide de créer avec ses potes le programme wØrldtr33, une prison virtuelle capable d’endiguer cette folie dévastatrice.

25 ans plus tard, une mystérieuse jeune-femme aussi fatale que létale a rouvert la boîte de Pandore pour déverser ce chaos incontrôlable sur l’humanité au risque de provoquer un génocide planétaire. Gabriel va devoir reformer l’équipe des hackers universitaires dans le but d’anéantir purement et simplement la toile.

Seulement voilà, le désirent-ils vraiment ?

James Tynion IV revient en force avec son genre de prédilection, le fantastique. Le récit est empreint d’une noirceur absolue. L’intrigue est ultra-violente, nihiliste et brutale. L’auteur embellit le thème de la révolution technologique à l’aide de ressorts scénaristiques multiples. Cette plongée lugubre tient en haleine grâce à son atmosphère étrange voire dérangeante. Elle explore le côté sombre, la lâcheté, la faiblesse ou la capacité de rédemption de son casting ambivalent. Comme Harlan Ellison, James Tynion IV s’intéresse particulièrement aux répercussions d’un fait troublant qui relève du surnaturel. WØrldtr33 est un cyber-thriller, une quête de sens haletante menée de main de maître.

Fernando Blanco favorise une mise en scène réduite à sa plus simple expression à l’aide d’un dessin austère conférant le ton particulier souhaité, le crayonné épuré n’en est pas moins immersif et inventif. L’illustrateur adopte un découpage clair, soigné et emploie un encrage opaque qui baigne petit à petit dans la pénombre dès que l’irréel fait irruption. Jordie Bellaire compose une superbe partition nuancée combinant froideur et saturation des pigments. Elle s’amuse à ajouter des distorsions de couleurs numériques pour appuyer les dérapages de la narration. La gamme d’orange, bleu, vert, rouge, violet, jaune utilisée instaure la tension et trouve son point culminant avec la trame sépia des deux dernières pages. L’image laisse un goût électrique sous la langue.

Cette nouveauté cryptée et imaginée par James Tynion IV est un chassé-croisé apocalyptique au format diptyque. Inutile de taper Crtl+Alt+Suppr suivi de WØrldtr33, abandonnez tout espoir car le numérique ronge la matière grise de notre cerveau depuis la fin du vingtième siècle.

Chronique de Vincent Lapalus.


© Urban Comics, 2024.

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