Attention, gros coup de cœur ! Si le titre peut laisser penser qu’il s’agit d’un documentaire sur notre consommation effrénée de ressources fossiles, et il y fait sans doute effectivement référence, L’héritage fossile est une bande dessinée de science-fiction publiée par Éditions Delcourt. Et c’est de la très bonne science-fiction, sur la conquête de l’espace et tous les problèmes techniques qu’elle peut poser. Mais c’est aussi une excellente intrigue, avec deux scènes en alternance. Les personnages principaux sur la planète, un vieil homme et une jeune fille, se racontent l’histoire de ce qui s’est passé dans le vaisseau spatial. Et, assez vite, la Terre ne répond plus, laissant l’équipe de cosmonautes fasse à des choix cruciaux… .Philippe Valette, créateur de cette brillante sortie, nous offre une alternance entre le huis-clos spatial et celui à destination, par un choix graphique affirmé, et des dialogues qui peuvent faire froid dans le dos… L’auteur, présent à Quai des Bulles, nous a confié avoir mis 5 ans à réaliser cet ouvrage. Chapeau bas !
Le préambule attire d’emblée notre attention. Un homme aux multiples bandages avance, suivi par une fillette. Qui sont-ils ? Qu’est-ce qui est arrivé à l’homme ? Le terrain est hostile, où sont-ils ? Ils prennent une gélule. Pourquoi ? Arrivé au premier tableau de bord, nous sommes pris de vertige… Le voyage doit durer 20 000 ans ! J’ai trouvé dans le scénario une référence à la planète des singes, où l’homme finit par être dépassé, et avec une construction inversée, où les personnages principaux sur la planète se racontent l’histoire de ce qui s’est passé dans le vaisseau spatial. Et tout ne se passe pas comme prévu, comme souvent entre la théorie et la pratique. Il faut dire aussi que l’équipage reste humain ! Avec les peurs des uns, la volonté de tout maîtriser des autres, la colère peut surgir et provoquer des dégâts !
Le dessin est réalisé à la tablette graphique, selon des techniques d’animation parfaitement maîtrisées et des choix de couleurs affirmés. Les personnages ont un côté comics, avec des astronautes aux peaux de différentes couleurs. le format carré est généreux, il laisse le temps de s’immerger dans les ambiances du vaisseau comme dans celle de la planète sableuse, balayée par les vents et comme photographiée. L’ensemble forme un style unique et accrocheur, très lisible et dépaysant. Les dialogues nous plongent dans la peau des personnages, les actions sont fortes, de quoi dévorer l’album avec une goutte de sueur sur le front.
Le terme fossile est ici un concept ramifié avec brio. Il nous évoque en premier notre soif insatiable de progrès et de conquête spatiale, intrinsèquement liés à une consommation insoutenable d’énergies et matériaux. Il vient questionner l’obstination qui peut emmener certains à avoir un cœur de pierre, considérant l’objectif à atteindre plus important que les règles morales. L’étrange maladie qui arrive aux cosmonautes nous dit que tout ne peut être réglé par la science. Et les civilisations ont aussi leur obsolescence… Alors que faire de notre héritage scientifique pour ne pas faire de nous des fossiles ? Clonage, décisions unilatérales, sacrifice d’individus, jusqu’où peut-on aller pour une cause qui nous dépasse ? Quel est l’impact des choix et renoncements individuels dans un projet collectif ? A l’heure où nous avons besoin de récits pour affiner notre trajectoire et nos choix, cette aventure spatiale pourrait vous secouer. Comme souvent, derrière la science fiction, un récit philosophique captivant.
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel
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