Le dernier festin de Rubin

L’art de la table demande une certaine maîtrise. Le dernier Festin de Rubin mijoté par Ram V et Filipe Andrade (assisté d’Inès Amara à la colorisation) aux éditions Urban Comics est un guide du routard culinaire. La différence majeure, c’est que l’organisateur du banquet s’octroie le droit de dévorer les chefs et ses convives si le désir lui en prend. Ce carpaccio relié s’étale sur près de 152 pages, suppléments compris.

Mohan est un cinéaste sans-le-sou, amer voire à la limite du burn-out. Il en a marre de charrier ses casseroles existentielles. Pourtant, un dénommé Rubin Baksh lui donne rendez-vous dans un café de Somarah pour lui proposer de réaliser l’œuvre de sa vie.

Le gars est un mastard aussi haut que large. Son rêve serait que Mohan le suive et tourne un documentaire sur ses échappées gastronomiques en terres hindies.

Rubin Baksh dissimule un secret. Il est le démon Bakasura qui d’après la légende, est connu pour son appétit d’ogre et sa capacité à engloutir des tonnes de nourritures ainsi que ceux qui les ont préparées.

Lors d’un combat ancestral, un guerrier dénommé Bhima terrassa la créature. Ce fut pour Bakasura une cuisante défaite et une prise de conscience. Ce mauvais «génie» comprit qu’il n’est pas convenable de bouffer les gens. Après des siècles à rester caché, il décida de s’aventurer hors de sa caverne pour aller à la rencontre de simples mortels et de leurs succulents petits plats.

Quitte à faire péter ses taux de cholestérol et de glycémie, autant que ce soit filmé. Que ces images se transforment en une profession de foi avant une disparition pure et dure des mémoires.

Sauf que Rubin laisse des traces de son passage et traîne des tueurs de divinités dans son sillage. Mohan finira-t-il sur une carte des menus ?

L’Inde est un pays aux 1001 saveurs…

Ram V et Filipe Andrade remettent le couvert après le mémorable Toutes les morts de Laila Starr. Le dernier Festin de Rubin, comme leur précédente parution, est un somptueux mélange d’authenticité et de fiction.

L’auteur concocte un récit copieux. Le fantastique de situation côtoie de vrais lieux, des personnages prosaïques assaisonnés d’une pincée de folklore. Ce melting-pot d’idées est une recette scénaristique réussie, Ram V est un conteur bienveillant qui enrichit ses histoires d’une dimension intelligente et d’un regard introspectif contemporain. Le voyage des héros est au centre de l’attention. L’histoire possède un noyau émotionnel substantiel, sa portée réside dans l’élargissement de la réflexion par le spectre de l’écrit.

Filipe Andrade apporte de la consistance à l’illustration et nourrit ses cases visuellement pour accompagner une mise en page exquise. Le crayonné est truffé de vitalité graphique. Le dessinateur portugais joue avec la composition grâce à des contours galbés, lignes harmonieuses pour garnir les moindres détails d’un éclairage bigarré. L’encrage est light, le sombre effectue quelques évasions esthétiques ici et là. Ce choix artistique favorise une polychromie à l’effet bœuf.

Les couvertures sont magnifiques, elles s’exécutent aux crayons ou bâtons de couleurs. Le grand format de l’album laisse une belle impression aux yeux du lecteur.

Pour conclure, Le dernier Festin de Rubin donne envie de manger indien tout au long de sa lecture.

Chronique de Vincent Lapalus.


© Urban Comics, 2024.

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