Le gigot du dimanche

Chez moi quand j’étais gosse, pas de gigot-flageolets dominical mais une volaille rôtie et le petit puits de purée de pommes de terre qui devenait volcan en éruption quand on collait dedans la bonne cuillerée de jus de cuisson… bulle d’heureux souvenir d’enfance remontée de loin grâce à ce  Gigot du dimanche conté par Pilou, enfin par Philippe Pelaez du haut de ses 11 ans en 1981… Servi chez Grand Angle, récit plein d’humour d’inspiration autobiographique, ce  Gigot du dimanche est un véritable régal !

Autour de ce repas familial, c’est la toute récente élection de François Mitterrand qui divise les oncles et tantes sur fond de mauvaise foi et de lutte des classes, les orientations sexuelles présumées de chacun-e qui font jaser, le regard que porte Mémé sur son arrière-petit-fils et l’affection qu’il lui porte en retour qui attendrissent… et surtout surtout surtout l’interrogation qui amène toute la famille à Gaillac chaque dimanche qui plane : où Mémé a-t-elle planqué son pactole ?

La couverture dessinée par Espé et mise en couleur par Florent Daniel est un petit bijou qui en dit déjà long : Mémé, petite bonne femme souriante toute en rondeurs, occupe la place centrale ; elle porte le fameux gigot bien installé sur son lit de louis d’or, et derrière elle, en éventail, toute la famille lorgne le trésor tandis que Pilou se pourlèche simplement les babines à la vue des tranches juteuses de viande fumante. La famille est dessinée en différents tons de gris tirant sur le vert, l’expression dominante de chacun est la surprise teintée d’envie à la vue du trésor tandis que Mémé, Pilou et le gigot sont en couleurs. L’œil est immédiatement attiré par le duo de l’aïeule et de son petit, jolie façon de rappeler que l’important ne se monnaye pas… Proche de la caricature tout au long de l’album, les personnages ont de vraies « gueules », les sourires ironiques sont savoureux, les regards éloquents, le trait très expressif est réjouissant tant dans les postures que dans les expressions des visages. Les tenues vestimentaires et les décors ne sont pas en reste, le dessinateur immerge le lecteur au début des années 80 en distillant subtilement blousons de cuir et voitures d’époque, vieux meubles de chez Mémé et boites en fer de bouillon Kub !

D’histoires de coucheries en drames familiaux, de bouchées à la reine en promenades au jardin, de porcs vivants gagnés au loto du village en matchs de rugby, l’auteur traite avec humour la question des liens au sein des familles et de ce qu’ils peuvent devenir quand des questions d’argent s’en mêlent. Marquée par le contraste entre la lucidité vénérable de Mémé et la candeur enfantine du regard de Pilou, j’ai beaucoup aimé cette histoire à la fois drôle et très humaine, teintée de nostalgie douce et qui m’a filée envie de fredonner plusieurs jours derrière « les dimanches à la con » de Renaud…

Alors maintenant si vous souhaitez savoir où est le magot et ce qui peut rassembler le général de Gaulle, un piano désaccordé, une prise d’otage, un magazine de charme et une boîte à souvenirs, il vous faut absolument ce vaudeville en bande dessinée signé Philippe Pelaez et Espé !

« Boules de gommes et p’tits mystères
Je m’demande si y a de quoi faire
Une chanson… »

Chronique de Louna Angèle


©Grand Angle, 2024.

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