IT’S LONELY AT THE CENTRE OF THE EARTH


Il est loin le temps où comics ne rimait qu’avec super-héros. En plus de trente ans de lecture de bande dessinée anglo-saxonne, l’évolution est clairement visible chez les éditeurs et c’est un plaisir de voir certaines publications comme ce titre chez HiComics. Encensé par les critiques françaises comme étrangères, j’étais vraiment curieux de voir si l’engouement était mérité. Et plus encore, avec cette lecture, j’ai préféré prendre mon temps pour vraiment digérer le titre et le chroniquer. Alors du coup, est-ce-que les éloges autour du titre n’étaient pas qu’un effet de mode prêt à éclater comme une bulle ? (spoiler alert, non mais on va voir ça de suite) Avec son titre à rallonge et sa couverture cryptique, difficile de se faire un avis au premier abord lorsqu’on prend cet ouvrage en main. Alors oui, dès le début, le résumé nous indique qu’il s’agit d’un récit autobiographique centré sur six mois de la vie de l’artiste en lutte contre l’anxiété ou encore le syndrome de l’imposteur… Mais avec tout ça, on est pas tellement avancé… À quoi s’attendre donc en lisant cette BD quand on a pu lire auparavant Dans les yeux de Billie Scott ou Rain de la même dessinatrice ? La première chose qui frappe est la multiplicité du trait de l’auteure là où ses autres œuvres présentaient une unité visuelle tout au long du récit. Zoe Thorogood n’a pas qu’une seule façon de s’exprimer graphiquement et elle nous le montre avec brio en adaptant son trait aux phases de son autobiographie dessinée. Véritable trombinoscope de ses humeurs, ses différentes représentations (quatre autoportraits et une créature faisant penser au fantôme de Ghibli dans Le voyage de Chihiro) nous confrontent à ses doutes et ses phases dépressives. “Du coup, on se retrouve avec une histoire qui plombe le moral ?” allez-vous demander ?? Pas du tout et c’est ça qui m’a surpris à la première lecture. La dessinatrice abordant des thèmes assez durs comme les envies de suicide, le dégoût de soi ou l’auto-dépréciation, l’histoire n’est certes pas des plus joyeuses quand on en connait les grandes lignes. Mais la mise à nu de Zoe Thorogood, touchante de sincérité, nous entraîne dans son sillage. On se prend à accompagner l’artiste tout au long de son récit, à faire preuve d’empathie, à ressentir ses émotions et surtout à les comprendre. Plus encore, la dessinatrice a su intégrer des moments d’humour, petites bouffées d’oxygène pleines d’espoir et de réalisme. Car ce dont parle la jeune dessinatrice de 25 ans est très universel et touche un large public, contrairement à ce que pourrait laisser entendre le pitch de cette BD. Qui n’a jamais eu de coup de blues, léger ou profond ? Qui ne s’est jamais remis en question dans sa vie professionnelle comme personnelle ? Qui n’a jamais eu peur à un moment ou un autre de sa vie face aux épreuves ? Loin de l’injonction à être fort contre vents et marées ou à passer sous silence ses douleurs, l’auteure nous confie ses doutes, nous dévoile son engagement total dans son art, sujet qu’elle avait auparavant abordé avec Dans les yeux de Billie Scott. Là où son précédent récit bénéficiait d’une fin plutôt positive, Zoe Thorogood jette un regard plein de maturité sur la création et ses difficultés. Et c’est la très grande force de ce titre qui nous fait plonger dans le quotidien de l’artiste qui s’affirme comme une créatrice accomplie. Très loin des standards pouvant assurer un succès éditorial assuré sur la niche comics du marché français dominé par les mastodontes des univers Marvel et DC, HiComics remplit pleinement son rôle d’éditeur de dénicheur en nous publiant ce titre publié par Image Comics aux Etats-Unis. Avec son récit très personnel, l’artiste réussit le tour de force de parler à tous. Son dessin organique interpellera et pourra ne pas plaire aux amateurs de trame traditionnelles mais à l’image d’un « Moi ce que j’aime c’est les monstres » où Emil Ferris s’est joué des codes graphiques, Zoé Thorogood joue avec sa narration et sa représentation pour nous partager son intimité en toute simplicité et sans fausse pudeur. Et à seulement 26 ans, on voit ici le talent d’une très grande autrice qui, j’espère, nous proposera d’autres titres tout aussi singuliers.

Chronique de Romain


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