The Winning Card

Les héros se définissent par la puissance de leurs adversaires. C’est pourquoi le Joker reste LE super-vilain par excellence. Il possède un charisme de dingue, est le meilleur dans sa catégorie et nul autre ne lui arrive à la cheville. À l’époque, Frank Miller et David Mazzucchelli ont rédigé le mythique Batman – Year One retraçant l’arrivée du justicier à Gotham City. Tom King et son collaborateur de longue date Mitch Gerads en font de même avec son rival dans The Winning Card aux éditions Urban Comics. Le fou furieux emblématique de la pop-culture n’en finit pas de filer des sueurs froides.

Le Chevalier noir est apparu en ville, son but est d’éradiquer le crime quelle que soit sa nature. Gotham est gangrénée par la corruption et le meurtre, le Bat tente de nettoyer les rues du mieux possible. La délinquance baisse, les ripoux se tiennent à carreau tandis que les gangsters plongent pour des stages d’emprisonnement à Choupiland pour une durée indéterminée.

Il faut se rendre à l’évidence, l’émergence de la chauve-souris a provoqué un effet papillon sur la faune gothamite. Terminé la course aux p’tites frappes et mafieux, une nouvelle race d’adversaires a surgi et sort de l’ordinaire. Ils sont monstrueux, agressifs et audacieux pour parvenir à leurs fins.

Mais un dément au rictus démoniaque et au teint blême tire son épingle du jeu. Il n’a pas de modus operandi connu, ne respecte aucune règle et défie toute logique. Poignarder un parent en présence de son enfant, charcuter du bourgeois, pratiquer l’énucléation oculaire sur des flics ou plomber les molaires d’une vraie grosse crapule ne lui posent pas de soucis. Au contraire, ces distractions le font se marrer comme une baleine.

Ce guignol sinistre est un inadapté social ainsi qu’un véritable cauchemar sur pattes. Bruce Wayne, son avatar nocturne et leur allié James Gordon vont se frotter à un salaud pervers de la pire espèce. Nos antagonistes se lanceront dans une danse macabre qui marquera la cité au fer blanc pour longtemps.

Exit la sempiternelle chute dans la cuve de produits chimiques, The Winning Card démarre sur les chapeaux de roue avec un Joker déjà en activité et ravagé comme jamais. Tom King réussit à saisir l’essence du personnage avec exactitude en mettant en avant sa folie et sa cruauté. Il appuie l’imprévisibilité voire la radicalité du protagoniste jusqu’à son paroxysme. Le récit transpire le désordre, l’anarchie et le chaos. L’intrigue se plie sous la pression grâce à des moments intenses de frayeur fulgurante ou d’angoisse sidérante. Les dialogues du bouffon psychopathe se faufilent à travers des intertitres elliptiques pour mieux souligner son détachement total envers ce qui l’entoure. L’auteur se sent très à l’aise dans l’univers du Caped Crusader et excelle à imaginer le premier face-à-face entre les deux hommes. La terreur s’installe, Tom King transcende l’horreur en rédigeant un thriller sous acide qui baigne dans un torrent de violence exacerbée. Il en ressort de la fascination pour le mal incarné.

Le graphisme de Mitch Gerads est à la fois déroutant, complexe et transporte le lecteur à l’intérieur d’un abîme illustratif. Il apporte une touche aussi mystérieuse que furieuse à sa mise en scène. La maîtrise de son art passe par une combinaison de techniques mêlant composition, angles de vue, éclairage ainsi qu’un travail sur l’ombre et la lumière atypique. Le coup de crayon choc fusionne avec des perspectives agitées, les proportions sont poussées à l’extrême. Le dessinateur capture les expressions faciales à la perfection, l’émotivité s’en donne à cœur joie. Le découpage pourtant classique est corrosif, les cases se répondent avec hargne. L’encrage se réduit au strict minimum pour tirer le plein potentiel de la colorisation. Les planches sont sauvagement assaillies par des pigmentations glaciales et schizophrènes, le bleu prédomine en dressant une atmosphère malsaine limite cadavérique. Les pages exhibent un effet de patine délavée, ce procédé de texture offre un aspect déstabilisant à l’ensemble. Mitch Gerads donne du corps au gaufrier.

La bibliographie de la bille de clown s’agrandit et gagne un quatrième album «essential», Joker – The Winning Card chez Urban Comics devient un atout majeur au même titre que sont The Killing Joke (Moore, Bolland), Joker (Azzarrello, Bermejo) ou Killer Smile (Lemire, Sorrentino).

Chronique de Vincent Lapalus.


© Urban Comics, 2024.

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  1. nices!! Les vents ovales T1: Yveline

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