Dans l’univers de Gradimir Smudja le chat a une place prépondérante. Un félidé est d’ailleurs le narrateur de sa nouvelle composition aux éditions Futuropolis Jesse Owens des miles et des miles. Essej, matou noir, assiste Jesse depuis son premier souffle de vie.
A Oakville, en Alabama, ce 12 septembre 1913 naît une des plus belles et étonnantes amitiés. Bébé Owens, dixième d’une grande fratrie est un enfant plutôt éveillé. Avec l’aide de son ami, il se met très vite debout et comme il est plutôt peureux, il s’élance à grands pas à chaque fois qu’il est effrayé. A cinq ans, lors d’un après-midi étouffant, un serpent lui plante ses crocs dans le mollet et c’est grâce à l’aide de son diabolique compagnon que son existence ne s’est pas arrêtée précocement.
Petit Jesse, passe son temps libre en toute insouciance. Il s’amuse et fuit à toutes jambes les dangers qu’il approche sur sa route. Dans la contrée américaine où il vit, être un homme de couleur n’est pas sans inconvénients. Pas un jour ne passe sans qu’un malheur ne pointe le bout de son nez. Que ce soit météorologique ou humain. La montée du KKK l’oblige à prendre la poudre d’escampette.
Arrivé dans le nord à Cleveland, il réalise, comme beaucoup d’autres, que l’espoir qu’il avait mis dans cette migration n’est qu’une chimère. Ici, la discrimination est omniprésente. Il parvient cependant à trouver un modeste boulot payé sept cents la semaine sur un terrain de sport. Comme il n’a aucun endroit où passer la nuit, il s’endort en général sur un banc public. Mal lui en prend, certains bancs sont réservés aux blancs. Il est dénoncé pour son infraction par une passante et c’est ainsi, qu’après une dense course poursuite, il fait la connaissance de Larry Snyder, policier de son état et entraîneur d’athlétisme.
Si les choses étaient simples tout s’arrêterait là, mais nous savons bien que rien ne se passe jamais comme cela. Cette rencontre providentielle aura au moins eu le mérite de mener notre futur athlète sur le chemin de la gloire…
Quelle histoire passionnante que celle de Jesse Owens. Après s’être attaqué aux vies de Henri de Toulouse-Lautrec, Vincent Van Gogh et Mo(au)z(s)art, Gradimir Sumudja nous offre avec générosité celle de ce grand champion. Il aime mêler la réalité et la fiction. Il le fait avec une telle excellence que l’on finit par ne plus réussir à dissocier le vrai du faux. Ses planches foisonnent de détails. Une seule lecture ne suffit pas à entrevoir tous les motifs qui animent ses illustrations. Ovni dans le milieu de la bande dessinée, cet artisan globe-trotteur a quitté la Serbie pour la Suisse en 1982. Je n’avais pas encore déposé mes valises en librairie, mais il est clair que cela aurait été un honneur de croiser le monsieur dans le rayon Beaux-Arts ou BD. Il se rend par la suite en Italie, à Lucques, où il enseigne le dessin.
Son art est éclectique et varié. Il réalise des caricatures ou des copies de tableaux. Pour ses réalisations, il utilise aussi bien des toiles que du bois. Il applique ses pinceaux débordant d’aquarelle autant sur papier que sur tissu.
Il y a des auteurs qui ont le don de nous émouvoir à chaque publication. Gradimir Smudja, lui, me procure un enthousiasme et une fébrilité comme un jour de fête. Ouvrir un de ses albums me ramène en enfance, quand le jour de mon anniversaire je recevais le cadeau tant convoité. Merci l’artiste !
Chronique de Nathalie Bétrix


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