COCON

Lors de la seconde Guerre Mondiale, le Japon a essuyé des défaites épouvantables dans le Pacifique. Cocon de Machiko Kyô aux éditons IMHO revient sur cette page sinistre en proposant un titre solennel qui émeut profondément. Un conseil aux personnes sensibles, blindez-vous !

1945, l’aviation américaine pilonne ce pays insulaire de l’Asie de l’Est. Les japonais souhaitent défendre leur archipel quoi qu’il en coûte. La solution stratégique d’envoyer des hommes en masse sur les côtes pour repousser les GI’s américains s’avère une tactique catastrophique.

L’empereur Hirohito tente de mobiliser la population afin qu’elle apporte assistance et secours à ses soldats. Au vu du contexte, un élan d’altruisme est propice. En ces temps sombres, la diplomatie s’écrase devant le massacre et la barbarie.

San, son amie Miyu ainsi que plusieurs de leurs camarades de classe forment un escadron d’écolières enrôlées comme infirmières à Okinawa. Ce groupe désire se surpasser pour aider l’armée. Nos aides-soignantes officieront dans un hôpital de fortune taillé à même la roche en bord de mer.

Les bombardements sont incessants. Au sol, les affrontements virent à l’hécatombe. La plage se jonche de cadavres tandis que les blessés s’entassent à l’intérieur du bunker médicalisé.

Malgré la panique ambiante, un fil de soie invisible mais solide se tisse entre les jeunes filles. L’innocence se consume devant l’horreur quotidienne. L’idéalisme vire au cauchemar, l’issue du combat mènera nos adolescentes sur une voie tragique voire funeste.

Machiko Kyô aborde le sujet brûlant du conflit territorial avec énormément de tact et de discernement, elle base sa pseudo-fiction sur des événements existants en posant son récit avec finesse. Tout est effleuré en filigrane et évoqué de manière subtile à l’aide d’une grande délicatesse rédactionnelle. L’autrice prend assez de recul avec le thème pour que le lecteur puisse juger sainement les faits, les enjeux dramatiques et cerner clairement le propos de l’artiste. Le scénario ne manque ni de profondeur, d’émotion ou de relief. Cocon dépeint la lutte incessante pour la survie, le manga se hisse au rang de manifeste gekiga universel et intense.

L’histoire retiendra que cette bataille se révélera une des luttes les plus meurtrières, l’île du Soleil levant mettra des décennies à se remettre de cette capitulation forcée.

Machiko Kyô opte pour une narration limpide, la composition se veut légère et douce pour contrebalancer la gravité de la situation. L’illustration se travaille à l’aide d’une esthétique croquée à vif. Le style est épuré, le dessin se met à nu. La mangaka est économe, elle manie l’art de donner du volume en peu de traits. La gente masculine n’est qu’une silhouette fantasmagorique arpentant les planches telles des formes blanches à la représentation chimérique ou maléfique. Leurs visages en sont gommés, ce parti pris graphique atteint son but. Le découpage allie la clarté visuelle à l’élégance du pinceau. L’encrage fin, ciselé tramé d’aquarelle grise confère à l’ensemble un noir et blanc intelligible et puissant. L’image mêle la brutalité du synopsis à la justesse de l’esquisse.

Je dois avouer au départ que Cocon aux éditions IMHO n’était qu’une lecture curieuse ou un en-cas en marge de mes fidèles comics. Sous cette sublime couverture aux couleurs délayées à l’eau se cache une œuvre fondatrice, dévastatrice, criante de vérité et débordante d’humanité.

Chronique de Vincent Lapalus.


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