MÉTAMORPHOSE

Ouvrir la somptueuse couverture de « Métamorphose », c’est plonger, ni dans une bande dessinée, ni dans un roman graphique, mais dans un magnifique songe, au format totalement innovant voire déroutant : un leporello. En l’absence de tranche, première et quatrième de couverture se confondent et se répondent, dans un mimétisme de formes et de couleurs : nuée de papillons sombres, élégant lettrage blanc cassé, grenouille plus claire ou plus colorée, et papillon à moitié avalé, ne formant plus qu’un. Les planches, en accordéon, se déroulent en toute fluidité, comme on effeuille un artichaut pour en trouver le cœur. L’autrice expérimentée Barbara Canepa (coscénario et couleurs de Sky-Doll) s’est chargée d’écrire le recto. Benjamin Lacombe, à l’impressionnante biographie autour du conte et du fantastique, du verso. Ils nous proposent un récit court, comme une série de haïkus, célébrant l’évanescence des êtres et des choses : grenouille, papillon, fleurs… Chacun est mis en avant puis laisse sa place… L’ensemble, dessiné et colorisé avec brio par Marco Mazzoni, est aussi graphique que poétique. Les auteurs nous donnent à voir le cycle de la vie, sous un format qui permet un éternel recommencement : saluons le travail de Noctambule pour cette superbe édition.

L’histoire navigue entre réel et féerie. Les scénaristes font appel à nos sens et notre imagination, par les mots. Rares et choisis avec soin, ils appellent à la rêverie et la philosophie. Comme à chaque fois que l’on touche aux secrets de l’existence, un peu de mystère demeure. Côté « vie », dans la peau d’une grenouille, nous vivons son évolution, son épanouissement, jusqu’à son point final. Côté « renaissance », des transformations à l’œuvre sous terre jaillissent des racines, puis c’est tout un arbre que l’on découvre au court de la séquence, avec ses multiples occupants, papillons, écureuils, oiseaux… A chaque fois que le livre est terminé, on peut immédiatement le recommencer, comme un mantra. Éternelle boucle qui nous rappelle que, si nous redevenons poussière, chaque atome peut ensuite s’imbriquer dans une nouvelle vie.

Point de cases, le dessin ne s’arrêtant même pas à la double page. La continuité est totale pour chaque séquence. Point non plus de contours… Le dessin, réaliste, d’une grande finesse et d’une grande délicatesse, allie crayon de papier et crayons de couleur, tout en douceur, contrastes et subtilités. On pourrait passer des heures à contempler chaque page, où les fleurs, l’azur et le rose prennent leur place, s’imposent, avec juste ce qu’il faut de baroque, les pleins et les vides s’équilibrant, les jeux de transparence apportant lumière et légèreté. Dans une éternelle ronde entre yin et yang, chaque séquence opère une transition magique du blanc vers la couleur printanière puis le noir et du noir vers le blanc et la couleur. Fleurs de nénuphars et de magnolias subliment les scènes ; la nature, fugace, s’offre à nous dans toute sa beauté, chaque élément s’entrelace et se complète… Même la mort n’est qu’une chimère.

Cette histoire, qui semble aussi inexorable que fantastique, a quelque chose d’Alice cheminant au pays des merveilles, sans retour en arrière possible. Et quand la forme sert autant le fond, et que le dessin nous subjugue, on frôle la perfection. Un magnifique ouvrage, ode à la faune et la flore, et au lâcher prise sur notre destin final à tous, à offrir et s’offrir.

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.


©Éditions Oxymore, 2024.

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