Moi, Edin Björnsson

J’ai découvert les exquises planches originales d’ Edith à la Maison de la bd, à Blois, à l’occasion d’une chouette exposition : la maison jaune, en 2022. Cet événement venait mettre en lumière le talentueux travail de l’artiste, récompensée par le prix Grand Boum en 2021 pour l’ensemble de son œuvre. Ou, plutôt, je l’ai redécouverte, car j’avais déjà fait l’acquisition 10 ans plus tôt de La Chambre de Lautréamont , titre incroyable puisque que formidable réinterprétation du premier roman graphique, publié en 1874. Vous l’aurez compris, Edith est la promesse de surprises et de qualité. La bande dessinée Moi, Edin Björnsson aux Éditions Oxymore, ne fait pas exception à la règle. Le sous-titre en dit long sur l’originalité de l’histoire : « pêcheur suédois au XVIIIème siècle, coureur de jupons et assassiné par un mari jaloux. » Nous voilà transportés il y a pas moins de 255 ans, l’exotisme des noms et des langues s’ajoutant au grand saut temporel. Pour autant, les sujets, philosophiques, ne manquent pas de modernité. L’histoire pourrait être un drame si elle n’était pas si malicieuse. Edin Björnsson s’avère un délicieux anti-héros. Les dessins allient puissance du crayonné noir et douceur d’aquarelles lumineuses. Même la couverture, vert turquoise, sort du lot, avec une mise en page décentrée, laissant place avec classe à un liseron en trame de fond. Sous sa peau d’ours, à l’image de ce joli végétal fugace, notre protagoniste serait-il aussi fragile qu’avide de liberté ?

En laissant dès le début la porte ouverte au surnaturel, l’autrice nous prévient d’office : le récit tient d’une fable, celle d’une vie précédente qu’aurait connue l’autrice – foi de magnétiseuse. Les soigneuses y ont une place importante, accoucheuses, guérisseuses, mais aussi oiseaux de mauvaise augure. Edin est-il légitime pour porter le nom de fils de l’ours ? L’humour se glisse où on l’attend le moins, voyez ce tourteau mortel lâché par une mouette et fracassant un crâne ! Le garçon, surnommé l’asticot, car faible à la naissance mais combatif, est un personnage vif et attachant. Éduqué avec les moyens du bord, il connaît par cœur le livre de cuisine, seul ouvrage de la maisonnée. La mère est dépressive, le travail de pêcheur dur et dangereux, les villageois assez rustres : la découverte des filles est un premier échappatoire. Mais à jouer les Don Juan, le sort peut se retourner contre soi. Un voyage aidera-t’il Edin à se reconstruire, ou devra-t’il affronter des tempêtes ?

Je ne sais pas dire ce que j’aime le plus avec Edith : sa capacité à cerner un visage en quelques traits de crayon, ou son habileté à jouer avec les lumières et les tonalités pour créer des instants cinématographiques. Les scènes sont simples et universelles, elles nous rappellent des actions d’un autre temps, souvent dans la pénombre : couture, pêche, cuisine, laine filée… Et conversations profondes, emmitouflés au coin du feu… Elles sont néanmoins pleines de vie, avec des jeux de contrastes remarquables. Admirez ces visages joyeux et ces personnages en contre-jours dans une danse autour du feu, ou ce couple enlacé au lever du soleil. Edith prend le temps de poser les décors nordiques, neige, bouleaux, maisons de bois, et de nous offrir de fascinants paysages panoramiques de fjords, landes et forêts. Elle fait même un hommage à Turner, par la vision d’un port où la brume intensifie la lumière. L’ours, animal totem de la famille, n’est pas oublié…

Après ce souffle nordique aussi merveilleux qu’une aurore boréale, il faut bien se le dire : Edith, nous la suivrons partout où elle voudra bien nous mener.

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel


©Éditions Oxymore, 2024.

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