L’imprimerie du diable

Intrigues savamment enchevêtrées sur fond d’Histoire,  L’imprimerie du Diable  m’a embarquée sans que je m’en rende compte un de ses après-midis pluvieux dont le printemps cette année est largement ponctué ! Nature fait le plein de flotte et moi de lectures, je ne me plains pas 

Il y a derrière la couverture bleue et or de ce beau volume de 144 planches édité par Les Arènes, un coin d’Europe à la fin du XVème siècle ; quelque part, pas très loin de Genève, un village nommé Vernoux, dirigé par un mayeur et son conseil et épaulé par un curé. Dans cet archétype du regroupement campagnard où les ouailles filochent à la messe et payer l’impôt, existent aussi les croyances populaires et païennes, l’herboristerie et la science des simples, une vie proche et soumise aux aléas de la nature. Nous sommes bien loin des villes ; la mère guérisseuse y côtoie le prélat, les conseils municipaux font appel aux devins pour le bien de la communauté tout entière.

La fin du XVeme, c’est aussi l’émergence de l’imprimerie. Je vous la fais courte : Johannes Gutenberg, en inventant la presse mécanique à caractère alphabétique mobile métallique aux environs de 1450, permet une diffusion accrue d’informations sur papier. Et c’est là que se place le premier ensemble d’intrigues de  L’imprimerie du Diable. Est-ce toujours pertinent de voir un écrit distribué largement ? Quand il s’agit du Malleus Maleficarum, en sommes-nous bien certains…? Littéralement le « Marteau des sorcières », ce traité de démonologie (rédigé par des moines dominicains Henri Institoris et Jacques Sprenger), largement employé par l’Inquisition pour traîner sur le bûcher un bon nombre d’innocents, compilait les caractéristiques indéniables permettant de reconnaître les serviteurs du Malin et notamment les sorcières… Dans cette même mouvance, étaient colportés, aux fins fonds des bourgs et hameaux les plus reculés, de courts feuillets imprimés dans lesquels les mots et surtout les illustrations terribles de sabbats sataniques et autres diableries maintenaient la plèbe dans la peur des Enfers et de la damnation éternelle… Savamment conçu par Virginie Greiner, le scénario engage à des réflexions sur la place de la diffusion des savoirs, son utilisation à des fins de propagande, sa fonction d’outil de maîtrise des populations par les puissants…

C’est dans ce contexte de chasse aux sorcières que prend place le second ensemble d’intrigues. Il y a Reine… et il y a Etienne… et il y a la plus vieille histoire du monde, malgré les obstacles et les difficultés, ils s’aiment… On les rencontre d’abord à la sortie de l’adolescence, Reine Percheval appartient à une lignée de Mères guérisseuses aux savoirs reconnus et Etienne Trollet, bien que fils de paysan et contre l’avis de son père, a appris à lire et écrire avec l’estimable curé de Vernoux. Conscient de sa capacité et de sa chance, Etienne quitte le village pour quelque chose de plus grand mais il reviendra et elle l’attendra. Promesse est faite… On les retrouve adultes, séparés l’un de l’autre depuis de nombreuses années. Reine est la Mère du village, Etienne a gravi les échelons de l’imprimerie principale de Genève, il permet l’édition du Malleus Maleficarum… Quête d’identité, manichéisme ordinaire et sentiments enfouis… Mélangez avec soin et voyez ce qu’il se passe…

Tout cet ensemble de destins mêlés est servi par le dessin réaliste d’Annabel. Un vrai régal pour l’œil. L’expressivité des visages et des allures, (les regards surtout !), le drapé des capes et des robes, les décors soignés et détaillés, citadins comme sylvestres, permettent une immersion immédiate du lecteur. Une mention spéciale pour moi pour la colorisation qui, par je ne sais quel sortilège, met en valeur la flamboyante chevelure rousse de Reine, donne une sensation d’éclairage à la bougie, de lumière lunaire à certaines cases…

Ce n’est pas l’envie qui manque de vous spoiler éhontément en vous écrivant ce qu’il advint du Malleus, d’Etienne et de Reine mais… vous prendrez bien plus de plaisir en le découvrant vous-même ! 

Chronique de Louna Angèle.


© Les Arènes, 2024.

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