SACRIFICE

Le passage de l’adolescence vers l’âge adulte peut se révéler une période charnière pour quiconque. Parfois, l’apprentissage de la vie se heurte à la propension à souffrir des croyances et convictions religieuses. Que répondre à l’espoir si ce n’est qu’il est important d’y croire même si l’on échoue ! Avec Sacrifice aux éditions Urban Comics, Rick Remender accompagné de Max Fiumara et Dave McCaig imagine un space opera dramatico-mystique.

Sur une planète reculée d’une galaxie éloignée, il est l’heure de la moisson. Elle se déroule environ tous les vingt ans. Un étrange individu nommé le contremaître passe de village en village afin de récolter son dû, la population doit faire don de son aîné aux dieux. Ce legs forcé aux idoles n’est autre qu’une simple condition, un «banal» sacrifice pour prôner l’harmonie parfaite et l’ordre absolu.

Pigeon est de ceux-là. Il est extirpé de la méchanceté paternelle pour être enfermé à l’intérieur d’une magnifique cage dorée. Attendre de la compassion ou de l’amour dans un tel environnement relève de l’illusion car la plupart des habitants sont majoritairement des cultivateurs, des paysans ne connaissant qu’une rude existence d’exploitation et de misère.

Le volatile au plumage bleu a la désagréable sensation que sa situation ne risque guère de s’améliorer.

Dans une réalité supérieure, à l’intérieur d’un palais aux mille et une merveilles, cinq familles de démiurges partagent un banquet. L’ambiance est joyeuse, les festivités puent l’opulence. Rokos le propriétaire des lieux et être lumineux organise la fête de la régénération céleste. Sa compagne Luna y participe, la déesse sombre s’insurge contre l’immortalité. Selon elle, leur espèce devrait céder sa place à une nouvelle dynastie providentielle pour que la prospérité et la paix perdurent au sein des mondes mortels.

Après un tel discours, Rokos se sent blessé dans son égo. Il tue Luna sous les yeux ébahis de ses invités et de leur fille Soluna. Elle perd sa mère pour une phrase modeste mais ô combien sincère. La cérémonie reprend son cours, l’assemblée se désaltère en abondance d’un étrange breuvage bleuâtre. Un seul mot revient lors des conversations, celui de contremaître.

Soluna décide de se rendre séance tenante au château de ce cruel artisan. Emprisonné, tête de piaf a une certitude. Les martyrs sont arrachés à leurs familles pour servir de matière première à des divinités capricieuses et égoïstes

Le chaos, l’incertitude mèneront Pigeon et Soluna sur la voie d’un long voyage amer.

Il est important de signaler que le rapport parents-enfants est un fil conducteur récurrent dans la production de Rick Remender. Il incorpore des sujets graves comme la vie, la mort, la maltraitance au récit. Le scénaristeétaye ses propos en établissant un parallèle perspicace entre la pauvreté et la religion comme deux sœurs jumelles intimement liées. Il dépeint avec justesse l’humanité de ses personnages ainsi que leurs destins croisés sur fond de lutte des classes et des castes. L’intrigue se base sur la technique d’une narration dite omnisciente en atteignant une sensibilité à fleur de peau. L’auteur bâtit un conte fantaisiste et humaniste grâce à des idées fortes, le titre trouvera une portée philosophique et provoquera un écho émotionnel chez le lecteur.

Max Fiumara et Dave McCaig griffonnent une illustration fantasmagorique qui se hisse au niveau du synopsis. La composition se révèle goûtue voire audacieuse car l’aisance naturelle se joint à l’inspiration esthétique. Le coup de crayon se pose sur le papier comme par magie, le dessin gagne en puissance. Le trait est délicat, enchanteur. Le découpage maîtrisé se déploie sans retenue avec talent, le format européen offre une large part de lisibilité et de profondeur de champs aux cases. Le séquençage s’étend de manière dantesque, les premiers et arrières plans fourmillent de détails. Les aplats de noir ne sont pas en reste puisqu’ils apportent la masse ainsi que le relief nécessaire pour hisser le graphisme toujours plus haut. L’utilisation habile de la colorisation par ordinateur de Dave McCaig transpire la volupté au travers des lavis de gris. Les tons sont peu agressifs, ils enveloppent les pages d’une atmosphère clair-obscur. Le volume saisit chaque planche à l’aide d’un climax numérique d’une réelle intensité pigmentée.

Notre duo d’artistes produit un spectacle visuel qui laisse pantois.

En conclusion, Sacrifice chez Urban Comics est LA nouveauté indé prometteuse à surveiller de très près. Il serait dommage de passer à côté de cette série qui regorge de qualités créatives et imaginatives.

Chronique de Vincent Lapalus.

©Urban Comics, 2024.

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