SAN FRANCISCO 1906 t1: Les trois Judith

J’ai eu la chance d’avoir l’expérimenté Fabrice Meddour comme professeur de bandes dessinées pendant 2 ans. Oui, cela existe, et les cours se passent à l’unique et inégalable maison de la BD à Blois. C’est aujourd’hui un autre qui les assure, Fabrice ayant cédé à l’appel de l’ouest. Entre temps, il nous a transmis son enthousiasme pour l’aquarelle, les panoramas, et pour l’art d’une manière générale, de Klimt au neuvième art en passant par le cinéma, et les story-board notamment. Il a également une passion et une grande maîtrise de l’anatomie, féminine en particulier ; et les États-Unis, où il a fait plusieurs courts séjours, ont une place particulière dans sa vie… Alors quand l’éditeur Grand Angle lui a proposé un scénario original et de haut vol, de l’excellent Damien Marie, avec lequel il avait déjà eu une collaboration fructueuse (Après l’enfer, prix Bdboum La Nouvelle République), ce fut un grand oui. « San Francisco, 1906 », c’est une fiction, un très bon thriller qui s’inscrit dans une réalité historique, celle du grand tremblement de terre ayant détruit la ville cette année là. Le pire côtoie le meilleur, de la mafia à la jeune Judith, femme de chambre au palace Hotel, qui découvre dans la suite du célèbre ténor Caruso un colis qu’elle n’aurait pas du voir… Tous les éléments sont réunis pour une histoire explosive et un album à l’identité aboutie, très riche. Courez vite le découvrir et le déguster, le second tome paraîtra cet été !

Á chaque page, son lot de surprise. Á commencer par le préambule, qui nous projette, non pas en Amérique, mais au Moyen-Orient, en 720 AV. J.C, auprès d’une magnifique et téméraire Judith, qui a fait vaciller l’empire millénaire de la Grande Babylone… Transportés à San Francisco en 1906, pas vraiment le temps de faire la connaissance de la protagoniste, jeune femme de chambre, que nous découvrons Caruso, le célèbre ténor, enchaînant les rappels au Grand théâtre central de San Francisco. Le revers de sa gloire internationale, c’est la mafia qui a saisi l’occasion de lui faire transporter un précieux paquet… En faisant le service de chambre, notre servante trouve ce grand colis plat… Juste avant que deux criminels, venus récupérer l’objet, ne lui tombent dessus. Elle a juste le temps d’apercevoir la peinture… Car le sous-titre de l’album, « les trois Judith », est un hommage à Klimt, qui a peint une magnifique série de tableau nommés « Judith »… Notre héroïne est enlevée, mais nos deux gredins ont la mauvaise idée de s’en débarrasser dans Chinatown. Le contraste est saisissant entre les milieux populaires et aisés. Effectivement, une femme haut placée attend sa commande avec impatience et le fait bien comprendre à son jouet, le général Funston, commandant en chef de la garnison de San Francisco… Et comme si la violence réunie de la mafia italienne et des triades ne suffisait pas, le 18 avril, à 5h12, le sol se met à trembler… Judith – car, oui, c’est son nom – se révèle révoltée et déterminée…

Le dessinateur a relevé plusieurs défis dans cet album : Il y a d’abord un choix graphique intéressant, de donner une tonalité à chaque planche par une couleur. On passe du sépia historique à un vert cauchemardesque, au rouge sang, à un bleu nocturne… L’ambiance est dense, propice à nous tenir en haleine, tout en mettant en avant les personnages, les regards et jeux de pouvoir. Des traits plus subtils et réalistes sont privilégiés au contour au trait noir. Le rythme est soutenu par les scènes d’actions, parfois très agressives – la mafia n’est pas connue pour faire dans la dentelle. Les cases plus larges permettent de jouer sur les deuxièmes et troisièmes plans, et d’apporter un ancrage historique et architectural. Il faut dire que le challenge illustratif, c’est aussi de réussir à faire exposer une ville : rupture des verticales, bâtiments disloqués, poutres arrachées de toute part, fumées épaisses, débris et bruits assourdissants sont au rendez-vous. Les scènes de désolation sont marquantes… Mais c’est sans doute les femmes qui restent en mémoire une fois la bande dessinée refermée. Elles sont mise en valeur par leur force, leur beauté et leur énergie.

Á la fin de ce premier tome, tous les personnages nous sont présentés, le feu couve dans la grande ville à terre, la suite est donc attendue avec impatience ! Fabrice Meddour, qui termine la colorisation du tome 2, nous promet qu’elle sera encore plus explosive, et les planches plus élégantes, de quoi nous faire saliver d’avance. L’alchimie de ce duo d’auteurs n’a pas fini de nous émerveiller.

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.

© Grand Angle, 2024.

Laisser un commentaire