Au début, tu te promènes sans trop savoir où tu vas… Tu sais simplement que tu accompagnes le drame d’un jeune homme… Sa compagne est allée se baigner dans l’océan à 10 degrés ; ne reste qu’un escarpin rouge sur la plage et un mot qu’il trouve le soir « Pardonne-moi ».
Alors, lui aussi, il part se baigner… et se réveille dans un monde brumeux… un escarpin rouge repose sur un rondin, un arbre mort comporte une porte ronde en métal rivetée comme celles des sous-marins. Il entre et, à la recherche de son amour, erre dans Bunkerville. Pascal Chind et Benjamin Legrand ont imaginé un scénario, initialement pour le cinéma, dans un univers rétrofuturiste à bout de souffle où la mécanique à vapeur et les engrenages sont rois mais plus pour très longtemps…
Il erre donc s’interrogeant sur ce qu’est cet endroit. S’ensuivent différentes péripéties et rencontres dans un monde couleur rouille directement inspiré de L’île à hélice de Jules Verne et des créations d’Albert Robida. Cité à la police toute puissante et à la justice arbitraire où les procès sont joués à pile ou face sans qu’on lance la pièce ; mécanique créée, et peuplée des occupants de plusieurs asiles, par un père, pour que son fils, diagnostiqué déficient mental, évolue au milieu de ses semblables, Bunkerville est une monstruosité. Tout ce qui s’y consomme est issu d’une pâte de poisson infâme ; le brouillard même qui entoure l’île pour la couper du monde est fabriqué à partir d’écailles. Le traitement des morts est confié à une sorte de Moire qui après avoir emballé les restes des défunts, les charge dans une montgolfière et les envoie littéralement au ciel ; le cimetière est une zone de décollage… On n’arrive pas à Bunkerville, on s’y échoue…
Tout cet univers terrifiant en forme de bad trip est aquarellé d’une façon stupéfiante : au milieu de la tristesse des vieilles ferrailles, et des raisonnements improbables d’une population malade, Vincenzo Balzano insuffle de la lumière, joue avec les contrastes et fait émerger de ses dessins en sépia, brun rouge et bleu gris, une forme d’énergie qu’on n’attend pas forcément là. Le génie graphique au service d’une intrigue, certes lourde, mais prenante.
La mise en page est assez classique, alternance de dessins en pleine page et de planches aux vignettes rectangulaires. Le choix de cases au contour flou accentue l’impression de flotter dans cette lecture et de dériver au fil du récit. L’eau est partout…un monde humide et rouillé peint à l’aquarelle… sur une île… après une noyade… J’ai découvert le travail de ce dessinateur issu de l’Académie des beaux-arts de Naples à l’occasion de cette lecture et vais suivre avec intérêt ses productions.
Compliqué d’évoquer les dernières pages de cette immersion steampunk, éditée chez Ankama, sans dévoiler le fin mot de l’histoire… disons simplement que tout s’explique, un peu comme à la fin de Usual Suspect quand d’un coup tout prend sens. Pour l’esthétique particulière offerte par Vincenzo Balzano, pour l’étrange poésie pensée par Pascal Chind et Benjamin Legrand ou simplement pour savoir si Laurel retrouve Elie…
Chronique de Louna Angèle.


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