Le combat d’Henry Fleming

Le Combat d’Henry Fleming est inspiré du roman The Red Badge of Courage de Stephen Crane (1894), et bien que je n’aie pas lu ce dernier, une simple recherche sur internet suffira à confirmer qu’il s’agit d’un des classiques de la littérature de cette période : c’est un des premiers romans sur la guerre racontée « à hauteur d’homme », forme de narration devenue courante désormais.

Si l’œuvre de Stephen Crane ne manquera pas d’être par la suite récupérée par les tenants américains d’un patriotisme irréfléchi et aveugle glorifiant la guerre, Steve Cuzor a pris le parti de traduire l’intention originelle de l’auteur et de mettre en avant le conflit intérieur du héros, ses doutes et ses atermoiements. Seul aux commandes sur ce one shot, il nous gratifie d’une œuvre originale, magnifique et passionnante, profondément humaine.

L’action se déroule au printemps 1863, en pleine guerre de sécession. Henry Fleming, jeune homme de 18 ans, s’est engagé dans l’armée nordiste, au grand désarroi de sa mère. Nous voici avec lui sur les rives de la Rapphannock (Virginie) alors qu’il s’apprête, après une interminable attente, à connaître le baptême du feu.

Il ne s’agit pas ici seulement d’un récit guerrier mais plutôt d’un voyage philosophique sur le don de soi, l’engagement et leurs limites. Au travers d’Henry Flemming, nous voici amenés à partager ses réflexions existentielles. Les notions de devoir et d’abnégation, le champ de la raison, percutent de plein fouet la part d’Henry Fleming qui demande à vivre, son instinct quasi animal de survie. Steve Cuzor réussit à forcer notre empathie : impossible au lecteur de ne pas s’interroger sur les choix qu’il ferait en pareil cas. Cette dualité s’accompagne d’une réflexion plus vaste sur la guerre et la place de l’individu combattant à son service, sur sa capacité d’être pleinement conscient des événements auxquels il participe. L’ensemble n’est pas sans rappeler les réflexions contenues dans certains carnets de poilus.

Aller plus loin serait trop révéler de cet ouvrage, mais on peut dire qu’actes de couardise et de bravoures vont s’opposer et se mêler…

Le traitement graphique de ce récit est tout simplement sublime. On ne peut qu’être époustouflé par le travail d’encrage de Steve Cuzor. Le trait est nerveux, dynamique, sans surcharges. Les décors sont particulièrement soignés ainsi que les détails historiques très documentés. Le traitement des lumières et des ombres est d’une grande maîtrise. A cette monochromie s’ajoute le choix original de fonds colorés unis pour chaque chapitre ou scène. J’ai vraiment eu le sentiment d’avoir sous les yeux ces vieilles photos en noir et blanc aux fonds sépia, gris-bleus ou verdâtres de l’époque. Tout ceci ne manquera pas d’éveiller chez les cinéphiles les images des génériques de Glory (Edward Zwick -1989) ou de Josey Wales hors la Loi (Clint Eastwood – 1976).

La qualité de l’impression de la collection Aire Libre chez Éditions Dupuis est à la hauteur du travail de Steve Cuzor.

Un indispensable pour tout BDphile humaniste…

Chronique d’Éric Descombes.

© Aire Libre, 2024.

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