TERRA OBSCURA

Swamp Thing, V pour Vendetta, Watchmen, Miracleman, Captain Britain, Batman – The Killing Joke, From Hell, Supreme etc. Il est obligé en tant qu’amateurs éclairés, que vous ayez feuilleté un ou plusieurs chefs-d’œuvre scribouillés par le génial Alan Moore. Il faut dire que notre bonhomme a su séduire le lectorat grâce à des travaux ambitieux. Il s’associe à Peter Hogan, Yanick Paquette, Karl Story et Jeromy Cox pour produire Terra Obscura aux éditions Urban Comics. Comme à l’accoutumée avec le mage de Northampton, l’album frôle le génie.

Le C.L.A.S.H. (Clan Légendaire des Aventuriers de la Science Héroïque) a affronté un envahisseur extraterrestre qui emprisonna la quasi-totalité de l’équipe en animation suspendue. La terre obscure se retrouva sans aucun champion pour la défendre.

Le baroudeur Tom Strange traversa la Voie lactée pour demander de l’aide à son double incroyablement puissant afin de renverser cet ennemi venu des étoiles. Cet aller-retour lui prit près de trente ans. Notre boy-scout libéra les membres du C.L.A.S.H. lors d’une bataille épique en Antarctique.

 Après ces trois décennies de captivité, nos héros ont du mal à se réadapter. Le monde et les mœurs ont changé à l’aube du vingt-et-unième siècle. Certains ont perdu des proches tandis que pour d’autres, cette «réacclimatation» est difficile. Sans compter que Tom Strange a disparu de façon inexplicable.

Pourtant, nos champions de l’impossible vont devoir se rapprocher malgré les obstacles. La priorité sera de protéger leur belle planète d’un mystérieux fléau technologique provoquant un blackout mondial ainsi que des menaces temporelles. Un come-back urgent des justiciers est attendu.

Alan Moore et Frank Miller ont été les instigateurs du mouvement du déconstructionnisme super-héroïque à l’évolution réaliste. Précurseurs de la tendance de ces demi-dieux de papier sombres et torturés, nos deux compères opérèrent un virage à 180° pour revenir aux fondamentaux au travers de Batman – The Dark Knight Strikes Again ou au lancement de la ligne ABC (America’s Best Comics). Cette collection est entièrement contrôlée et scénarisée par Moore. Elle se compose de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, Top Ten, Promethea, de l’anthologie Tommorow Stories et de Tom Strong dont Terra Obscura est le spin-off. Le britannique rédige à quatre mains ces deux mini-séries en compagnie de Peter Hogan. Nos auteurs revisitent les classiques en conciliant la Science-fiction au pulp et à la nostalgie, l’intégrale est un hommage à la mythologie du surhomme au sens fort. Alan Moore et son coscénariste déploient un potentiel créatif fascinant, ils condensent le meilleur du comic-book et explorent au maximum les possibilités offertes par le médium. Le duo renoue avec l’énergie folle, l’imagerie, l’imaginaire et le doux parfum de titres issus de L’Âge d’or. Les thèmes de l’IA et de l’homosexualité sont traités avec beaucoup de sagacité, les univers merveilleux se mêlent à la culture contemporaine. Sous leur impulsion, la bande dessinée devient subitement plus nourrie et substantielle. L’écriture est intelligente, le récit se laisse porter par l’action. Les dialogues sont étoffés, littéraires et romancés. On retrouve le plaisir de la variété, les valeurs véhiculées donnent à divertir et réfléchir en lisant.

Yanick Paquette se charge de la partie illustrative dans un élan de jubilation graphique. Il livre des planches incroyablement détaillées, copieuses et savoureuses. Le crayonné est aussi léger que consistant mais extrêmement raffiné, il s’agrémente d’une pointe d’exagération pour coller aux canons du genre. Les personnages masculins sont charpentés, beaux et  affichent fièrement des mentons carrés. Les protagonistes féminins symbolisent la souplesse des lignes sveltes et léchées sans tomber dans la caricature. Les vilains quant à eux, possèdent une allure grotesque sinon inquiétante. Karl Story répond présent visuellement, la rigoureuse minutie du pinceau et de la plume fait couler l’encre de chine dans un style propre en respectant le découpage soigné de Paquette, le passage au noir se veut appliqué et consciencieux. Jeromy Cox peaufine chaque plan, case et séquence avec méticulosité. Il élabore une colorisation harmonieuse par l’utilisation de tons splendides et appropriés. Les artistes élaborent un travail impeccable, la mise en page puise ses racines autant dans les éléments vieillots que les designs modernes. Le dessin se veut dynamique, fort, intéressant et ne manque ni de mordant ni d’intensité.

Encore actuellement, le double M formé par Miller et Moore a durablement marqué le paysage de la production américaine depuis les années 80 faisant toujours de l’ombre à la nouvelle vague. Alors, qui pourra surmonter le défi et prendre la relève ? L’affaire est à suivre…

Chronique de Vincent Lapalus.

© Urban Comics, 2023.

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