LA PRINCESSE PEAU D’ÂNE

Quoi de mieux qu’un conte pour poursuivre le calendrier de l’avent ? Mais pas n’importe lequel, le plus vieux conte de fée français écrit ! Tenez vous bien, la première version, de Charles Perrault, est parue en 1694 ! « La princesse peau d’âne », bande-dessinée de Cécile Chicault éditée chez Jungle, à la sublime couverture, est l’occasion de nous rappeler combien cette histoire est féerique, belle, mais aussi étonnamment actuelle ! La reliure – à l’ancienne, en tissu – est d’emblée agréable. Elle est en harmonie avec le texte, qui se décline en vers, et avec les superbes planches dessinées, qui s’habillent de leurs plus délicieuses parures végétales. Tout est volupté, pour nous narrer ce roi qui avait deux grands trésors, sa fille et son âne… Ayant promis à la reine, sur son lit de mort, de ne se remarier qu’avec une femme aussi ravissante et sage, il en arrive à la conclusion que seule sa fille correspond… L’auteure, déjà primée à Angoulême en 2000 pour « le diable aux trois cheveux d’or », n’en est pas à son coup d’essai. La princesse nous embarque dans son aventure, et nous vibrons avec elle, espérant une issue heureuse face aux injonctions d’inceste ; et nous délectant de chaque page, graphiquement remarquables.

Après avoir cherché parmi toutes les dames du royaume, ni à la campagne, ni à la ville, ni même dans les territoires alentours, nulle ne répond au vœu fait à sa défunte épouse. Le roi tombe alors éperdument amoureux de sa propre fille, inconscient que c’est une folie. Mais quel enfant accepterait cette impossibilité ? « De mille chagrins, l’âme pleine, la princesse alla trouver sa marraine ». Elles tentent par tous les moyens de dissuader le roi, d’abord en lui demandant les robes les plus admirables et les plus irréalisables… Puis en exigeant la peau de l’âne, qui par ses déjections faites d’or, fait la fortune de ces gens. Elles sont convaincues que le roi ne sacrifiera pas la source de son trésor… Et pourtant, si ! La jeune fille, n’ayant plus d’autre choix, se sauve, en se cachant sous la peau du pauvre animal. Devenue souillon, elle est harcelée, devient la risée des valets qui la croisent. Mais chaque dimanche, son doux plaisir est de vêtir ses robes précieuses, conservées cachées grâce au talent de sa marraine. Le prince de la contrée, passant devant sa chaumière, mettant un œil au trou de la serrure, est estomaqué par le désir qui le foudroie. Il réclame un gâteau d’elle. Au comble de la joie, elle perd sa bague dans le pétrin… Elle l’a sans doute fait exprès ! Et c’est bien entendu avec la personne qui pourra porter cet anneau que le prince accepte de se marier. La fin est heureuse à plus d’un titre. Le doigt de Peau d’âne s’ajustant au bijou, c’est vêtue de sa robe la plus somptueuse qu’elle cloue le bec à toute la contrée. Et son père, invité, soigné de son désir criminel, bénit l’union autant que leurs retrouvailles.

Le subtil jeu des couleurs et des ombres se déroule parfaitement, déclinant brouillards et pénombres, ainsi que des cases lumineuses et d’autres très sombres. La page de la fillette revêtant son costume de bête est très forte, d’une infinie tristesse.  La dessinatrice soigne les détails, du plumage des oiseaux aux tissus des vêtements et parures, des décors aux accessoires. Elle développe un riche registre d’objets évocateurs du temps qui passe et des bouleversements : ustensiles médicaux cassés par la colère, feuilles d’arbres semblant tomber au creux d’une page, rose fanée… Le bestiaire est tout aussi étendu, de mignonnes petites souris faisant de régulières apparitions, à des éléments plus surréalistes combinant mains et yeux, lunes, ou encore des méduses et petits monstres. Le répertoire est bien celui de l’imaginaire, il évoque Cendrillon mais aussi Alice au pays des merveilles, Peau d’âne fuyant son destin mais étant rattrapée par le temps. Mécanisme horloger implacable, qui la laisse abasourdie et fait fuir les oiseaux. Mais notre héroïne est pleine de ressources !

Redécouvrir cette histoire aujourd’hui, c’est rappeler le poids des conventions qui pèse encore sur trop de jeunes filles partout dans le monde, par les mariages forcés ou arrangés. C’est briser le tabou de l’inceste, encore beaucoup trop présent dans nos sociétés. C’est aussi suivre une jeune fille combative et inventive, qui ne cède pas au fatalisme et décide de prendre en main son destin, en se détachant de l’emprise paternelle. Inspirant !

CHronique de Mélanie Huguet – Friedel

© Editions Jungle, 2023.

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