Le passé ou le futur ? Rien ne le précise. Tout ce que l’on sait, c’est que la civilisation est desséchée de ses ressources et de son humanité. Une ombre plane sur la Terre. Shuna est le fils du roi d’une région isolée où les habitants, principalement des fermiers, subissent la famine quotidienne et la dureté du relief. Arrive un jour où, un cavalier errant vient rendre l’âme à l’entrée de son village. Avant de s’éteindre, le pauvre bougre raconte une légende au jeune-homme. Il existerait dans les contrées lointaines de l’Ouest, une graine miraculeuse qui serait susceptible de sauver son peuple de la faim et capable d’apporter abondance à ses récoltes.
Empli d’espoir, Shuna selle et enfourche son yakkuru pour partir à la recherche de ce germe magique. Notre planète est capricieuse, le garçon devra faire face aux ténèbres de l’âme humaine au travers de multiples et terribles dangers. Les territoires voisins regorgent de bandits de grands chemins, de voyous et de lâches sans pitié.
Il sera témoin de la traite d’êtres humains, d’esclavagisme, de querelles brutales et participera à des frictions sanglantes. Pourquoi l’homme est-il autant cruel envers ses semblables ?
Le juvénile monarque se confrontera à une jungle luxuriante habitée de créatures insolites. Il dirige ses pas et porte sur le monde un regard sans haine afin d’affronter les épreuves pour en ressortir le cœur vaillant et pur à moins de tomber dans la gueule d’un géant élémental.
Je vous souhaite la bienvenue dans Le Voyage de Shuna aux éditions Sarbacane.
Hayao Miyazaki se réapproprie le conte populaire tibétain «Le prince qui fut changé en chien» auquel il ajoute un traitement homérique. Le périple du héros se métamorphose en trame principale, le protagoniste connaît le chemin à emprunter mais la destination finale lui est inconnue. L’album est fantastique tant par le fond que par la forme, l’ouvrage tient plus du roman illustré que de la bande dessinée traditionnelle. Les phylactères et dialogues sont quasiment inexistants. Le texte récitatif se noie à l’intérieur de l’esquisse et la peinture à l’eau dans le but de prendre la pleine mesure de l’imagerie qui défile sous nos yeux. Le lecteur perçoit des thématiques récurrentes que le maître développera sur l’ensemble de sa filmographie, Nausicaä de la vallée du vent et Princesse Mononoké en tête. Miyazaki-sensei en profite pour transmettre ses préoccupations ainsi que ses opinions grâce à un équilibre subtil. L’histoire est abordée de manière organique et traitée intelligemment. L’auteur développe une approche philosophique pour contrebalancer une violence omniprésente. L’action peut avancer calmement mais aussi accélérer subitement, l’émotion passe par les personnages et leurs mésaventures. Le Voyage de Shuna est une longue fresque reliée imaginaire qui alerte, pousse à la prise de conscience et sensibilise. Elle prône l’espérance, le juste combat et l’héroïsme. Le récit culmine jusqu’à une conclusion bouleversante comme à l’accoutumée chez Miyazaki. L’œuvre n’est autre qu’une route semée d’embûches à la fois enrichissante et mélancolique, autant émouvante que dramatique.
Hayao Miyazaki est un créateur perfectionniste, professionnel et surtout obsessionnel. Son dessin au crayon se meut dans la simplicité, l’amplitude et l’énergie. Les visages se croquent de façon sommaire là où les costumes, engins, arrière-plans abondent de détails. Un soin particulier est apporté à l’ombrage. Le séquençage se compose de pleines et doubles-pages vibrantes allant de 1 à 3 vignettes par planche. Le découpage instinctif caractérise parfaitement le mouvement. La colorisation s’emporte par le biais d’une narration de poésie aquarellée aidée par le souffle inouï et léché du pinceau. La technique permet de diluer pour mieux colorer une atmosphère imaginaire doublée d’un univers extraordinaire.
En son temps, Ozamu Tezuka a été proclamé Roi du manga. Pareil à Katsuhiro Ôtomo, Hayao Miyazaki s’élève au rang d’immortel.
Chronique de Vincent Lapalus.

© Editions Sarbacane, 2023.