Je suis née au bord de Loire, j’y ai grandi, fait mes études, et j’y habite aujourd’hui. Je suis profondément ligérienne, et par ailleurs, je guette avec impatience chaque sortie d’Etienne Davodeau. C’est dire si j’attendais sa nouvelle bande-dessinée, « Loire », parue chez Futuropolis. A en juger par les conversations autour de moi, les ruptures de stock et réimpressions, je ne suis pas la seule ! Il faut dire aussi que Loire, qui est une fiction, est sans doute graphiquement l’ouvrage le plus abouti de l’auteur, qui s’est laissé guidé par son envie de dessiner, en couleur, les paysages majestueux de notre fleuve… Pour notre plus grand bonheur ! – Et ce dès la première de couverture, tout simplement superbe. Les planches – peintes à l’aquarelle avec beaucoup de douceur – sont d’ailleurs exposées à Blois, du 30 octobre au 6 janvier, dans le cadre du 40ème festival BdBoum : une exposition qui vaut le détour ! Le scenario, une ode à la liberté, au libre-arbitre, et à la nature, mais aussi à ne pas toujours chercher une réponse à tout, pourra surprendre le lecteur ; il y retrouvera la malice et une certaine légèreté qui participent au style un peu à part du scénariste, ainsi qu’un côté poétique voire mélancolique. Un ensemble accessible à partir de 15 ans, dont on entend déjà beaucoup parler, du Prix BD RTL du mois d’octobre 2023 aux sélections en cours (Prix Relay 2023, prix Landerneau 2023, Grand prix de la critique ACBD2024) !
Alors que Louis est en route pour répondre à l’invitation d’une ex-femme, Agathe, il décide de finir le chemin à pied, puis se jette carrément dans la Loire, comme il l’a fait des dizaines de fois par le passé. Piégé par le courant, il n’a plus qu’à se laisser emporter par celui-ci, ne pas lutter, jusqu’à retrouver la terre ferme. La suite est à l’image de cette séquence introductive : arrivé chez Agathe, une surprise de taille attend Louis, mais le mot d’ordre va être d’être dans l’instant présent. Agathe n’est pas là, mais elle est partout, se confond avec le fleuve, intense, joyeuse, profondément libre, aussi attachante qu’indépendante. Réunis par leur lien à elle, les hommes et la femme – Suzanne – qui ont répondu présent à sa demande sont un peu perdus. Il y a quelque chose du boomer chez les « vieux mâles », comme les nomme Suzanne, entre celui qui prend trop l’avion, celui qui picole sans doute un peu trop… Ceux qui se demandent qui est le père de Laure, fille d’Agathe. Mais au fil des pages, comme une ritournelle, revient l’appel à se laisser porter par le courant, à ralentir, à se détacher. A apprécier l’instant présent, un verre partagé, une promenade, la pluie qui tombe encore un peu sous les arbres après l’averse, et arrêter de se poser des questions. Même quand il est question de noyade et de fin de vie. Les silences comptent autant que les échanges, et, par, la contemplation le fleuve se dévoile et prend toute sa place.
Dès lors, ses paysages et ses humeurs sont le fil rouge de la trame graphique : de jour comme de nuit, sous le soleil et les éclairs, aux différentes heures, et avec ses différents visiteurs, oiseaux, renards, chevreuils… Tous les motifs singuliers de ce paysage habité, à l’identité unique, sont également dessinés avec soin : arbres travaillés par les hautes eaux, bâti de tuffeau et d’ardoises, ponts, bateaux à fond plat, cyclistes et – malgré le danger – baigneurs… Les aquarelles sont magnifiques, lorsque du mélange des couleurs et de l’eau jaillissent des accidents, que le ciel se constelle d’étoiles, que les ombres s’allongent… Le gaufrier s’adapte et les plans sont impeccables, pour offrir des cases grand format où le regard peut plonger dans les eaux murmurantes, où s’ouvrir au ciel… Chacun pensera reconnaître un lieu qu’il chérit, car le lit de la Loire offre une remarquable unité, une valeur universelle exceptionnelle que l’on ressent pleinement ici.
Avec Loire, l’auteur nous parle des rapports que nous entretenons avec elle, et de ce qu’elle est. « Pas seulement un lieu, bien mieux qu’un décor, bien plus qu’un paysage. » Il nous invite – à l’instar de Philippe Descola, cité en préambule – à repenser notre perception de nous-même et des écosystèmes où nous évoluons, comme de simples composantes d’un ensemble plus vaste, sans discrimination entre humains et non humains. Nul doute que dès lors, les rencontres qui se déroulent autour de cette bande-dessinée subtile et lumineuse, à commencer par celle qui aura lieu à Blois – toujours dans le cadre du festival, samedi 18 novembre, au sein d’un café historique avec le directeur de la mission Val de Loire – seront extrêmement riches !
Chronique Mélanie Huguet – Friedel.


© Futuropolis, 2023.
Je suis profondément ligérien également et cette bande dessinée me tente beaucoup. Pour les cadeaux de fin d’année aussi 😀
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