HITMAN

Cette semaine, je vais vous parler d’un cas à part. Il s’agit de Garth Ennis, cet enfoiré natif de Belfast et amateur de houblon est une institution du Neuvième Art à lui seul. Ce mec a pu côtoyer l’excellence comme se torcher de belles merdes imprimées. Les éditions Urban Comics ont eu la brillante idée de traduire le chainon manquant entre ses épisodes mémorables d’Hellblazer et Preacher. Hitman de sieur Ennis, John McCrea et Carla Feeny est un bon millésime, les étalages de nos libraires vont finir souillés.

Tommy Monaghan est un tueur à gages réputé dans les cercles intérieurs de Gotham City. Il met un point d’honneur à ne dessouder que de véritables ordures, celles qui  méritent de se manger une bastos en pleine gueule. C’est un putain d’elfe armé d’un AK-47. Pendant l’exécution d’un contrat, il est molesté par une saloperie démoniaque ou extraterrestre. On s’en branle un peu !

Après que le monstre lui ait aspiré du liquide rachidien, Tommy en ressort grandi et affublé d’une vision à rayon X ainsi que d’un don de télépathie. Ses nouvelles capacités s’avèreront utiles pour lui permettre de détecter ses ennemis et découvrir leurs pensées. Il bifurque naturellement vers des cibles surhumaines, Monaghan distribue ses valdas au gré de l’apesanteur. Son rêve ultime serait de choper le Joker pour lui coller un pruneau dans son crâne dérangé.

Seulement voilà, Monaghan va se retrouver dans un bordel aux proportions bibliques et devient la personnalité à abattre. Tommy devra jongler entre des créatures repoussantes, la pègre, les allumés d’Arkham et autres rivaux portés sur la gâchette. Il est sous la surveillance aiguisée du Chevalier Noir, le gars navigue sur le fil du rasoir.

Rien ne vaut une virée dans un bar craignos avec des potes pour siffler quelques bières et taper le carton au poker, les plaisirs simples de l’existence permettent de surmonter n’importe quel obstacle.

Au pire, Monaghan pourra toujours zoner avec une fliquette désabusée et alcoolique ou la Section 8. Cette équipe hétéroclite se compose d’ivrognes et désaxés notoires rendant la justice de manière assez particulière. Elle combat les mécréants par les bienfaits du chalumeau, de la baguette de pain, d’un collier d’oignons ou de la sodomie. Bueno excellente !

Garth Ennis est un psychopathe du scénario. Il a été biberonné depuis l’enfance aux westerns, gavé d’histoires de guerres et nourri à la Science-fiction. D’où son aversion pour les super-héros, son arrivée fracassante dans le milieu muni d’un ton sulfureux et débridé jamais vu coïncide avec leur dégringolade à l’aube des années 90. Il aime casser du super-slip et les traiter comme des débiles profonds. Seuls le diable écarlate de Hell’s Kitchen, la chauve-souris enragée de Gotham et Frank la mitraille trouvent grâce à ses yeux, et encore. L’auteur rédige ce qui lui plaît avec un je-m’en-foutisme total et s’en cogne royalement de ce que pensent les autres. Il a révolutionné le medium à l’aide d’une écriture outrancière et excessive, le ton général est plutôt macabre et abominablement provocateur. Les dialogues sont aussi crus qu’osés. Il n’hésite pas à mixer la réflexion à la scatologie rehaussée d’un humour salace assez hilarant. Hitman a été pensé pour lui permettre de s’amuser car cet homme de lettres possède un esprit foisonnant. Il peuple ses différentes créations de personnages extrêmes projetés au cœur de situations grandiloquentes et horreurs pittoresques. Peu de confrères peuvent se targuer de décrire le malheur, la détresse et la torture 100% es déconne mieux que Garth Ennis. Le gore se veut à la fois jouissif et transgressif, le lecteur devra se blinder face à ses récits ultra-violents. Je conseille fortement aux âmes sensibles de passer leur chemin sous peine de pleurer du sang.

Cet écrivain talentueux est considéré comme un taré, okay. Ses collaborateurs de longue date Steve Dillon, Carlos Ezquerra ou Darick Robertson ont réussi l’exploit de donner vie à l’ensemble de ses pitreries scénaristiques sans broncher. John McCrea et Carla Feeny ne dérogent pas à la règle. Ce sont eux les vrais barjots ! Ces poètes du visuel capables de mettre en images les délires d’Ennis. Pour coller à l’atmosphère, McCrea emploie un dessin comique, sordide et n’hésite pas à lorgner du côté de l’illustration humoristique pour faire passer la pilule. Le crayonné est délibérément cartoon, les décors sont poussés jusqu’au difforme afin d’accentuer le style burlesque du comic-book. Les lignes et courbes possèdent la grâce tordue d’une Tour de Pise s’étant mangé un sévère coup de pare-chocs. L’artiste bénéficie d’un œil expérimenté pour cerner les détails croustillants du script et maîtrise la chorégraphie des corps déchiquetés et criblés de balles. La composition vire au grand n’importe quoi mais c’est fendard. McCrea use et abuse du format 1 à 6 cases larges par planche, le découpage se croque à la What The Fuck. Le gaufrier se badigeonne de noir et s’accorde parfaitement à l’ambiance, l’encrage se coule comme un terrassement au béton armé. La finesse, on oublie. Carla Feeny a réalisé la mise en couleurs selon les méthodes à l’ancienne, l’old school conserve le charme de la fabrication artisanale d’autrefois. La colorisation se déploie en gros pâtés ocre et ternes. L’action se déroulant majoritairement dans les bas-fonds, la lumière et la brillance n’y ont pas leur place. Les nuances reflètent cet environnement répugnant à la perfection. John McCrea et Carla Feeny livrent un travail pop-punk, des séquences disposent de qualités vomitives certaines.

Les runs imaginés par Garth Ennis pour John Constantine, Jesse Custer, le Punisher ou le Pèlerin ont laissé de magnifiques «traces de pneu» sur la pelouse verte et immaculée des compagnies mainstream. Ce premier omnibus de Hitman vient ajouter sa contribution en y déposant un bon gros caca. Avis aux amateurs de séries en marge, ce titre trash vous est chaudement recommandé.

Chronique de Vincent Lapalus.

© Urban Comics, 2023.

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