SIX MOIS et UN AUTRE : Un chemin de Compostelle

Compostelle , j’ai vu le mot et j’ai attrapé la BD de chez Steinkis éditions… ou le roman graphique… appelez ça comme vous voulez… Une histoire en dessins, en vignettes ou pages entières, avec des bulles de textes et des didascalies… un format que j’aime quel que soit le nom qu’on lui donne… j’aime le lire… Je n’ai pas choisi non plus entre la chocolatine et le pain au chocolat, ni entre le friand et le pâté lorrain… faut croire que j’aime nommer le monde et le pouvoir des mots bien utilisés mais pas les étiquettes !
Compostelle donc… un mot qui résonne fort dans mon imaginaire, dans mon vécu. Synonyme de distance à pied, sac au dos, pas seulement une grosse rando mais une forme de décrochage du monde par la grâce des kilomètres parcourus… Un voyage que je me promets de faire par petits tronçons depuis que j’ai vingt ans… Là, sur la couverture tentatrice, un paysage tout en vert et mauve, vallonné, au petit matin et un randonneur bardas rouge sur les épaules et qui, tourné vers l’ouest, semble prêt à quitter le cadre… Je suis entrée dans ce livre avec l’envie d’en savoir plus sur ce cheminement spirituel qui engage les chrétiens et les curieux de tous bords à se fader à pince des jours, des semaines, des mois de marche avec pour objectif Saint Jacques de Compostelle, patelin paumé en Galice au bout du bout de la côte espagnole et censé abriter le tombeau de l’apôtre Saint Jacques. J’avais des mots tout fait dans la tête, restes de mes études d’histoire certainement, crédenciale, jacquets, auberge à pèlerins, coquille…
Et dans ce livre, je n’ai rien trouvé ou presque de tout ça… parce que Six mois et un autre, est bien un cheminement mais dont le chemin de Compostelle n’est finalement qu’un prétexte à une quête intérieure, celle de l’auteur et dessinateur, Blaise Pruvost. Si géographiquement le crapahutage et les nuits sous tente du personnage principal se situent plus ou moins sur un des itinéraires consacrés, ici c’est l’auteur qui nous guide en lui, son vécu, ses peurs, ses amours, son besoin à dix-neuf ans de prendre le large de tout avec 400 euros en poche… peut-être pour se prouver, trouver, connaître… je n’en sais trop rien, j’suis pas dans sa tête… Ce que je sais en revanche, c’est que cette lecture m’a fait cogiter, m’a secoué pas mal sur le temps qui passe, sur ces choses qu’on veut faire et qu’on reporte toujours avec une bonne raison… enfin… qu’on trouve bonne sur le moment. Le trait vif et rond absorbe les échecs et l’angoisse adolescente de l’auteur, humanise les regards, rend tangible les paysages traversés… Classique dans sa mise en page avec des unités de lecture sans cadre ; la lecture, linéaire, s’enchaîne tranquillement. Une mention spéciale pour moi dans la façon dont le dessinateur transcrit ses rêves, ses fulgurances et ses cauchemars… du noir et du blanc, enchevêtrés, des formes fondues, aussi belles que torturées, et qui m’ont touché le creux dans la poitrine…
Ces 312 pages, ce sont aussi des rencontres, de l’humain brut, radieux, perfide, douloureux, sublime, vrai… sous le crayon habile de Blaise Pruvost les souvenirs revivent, tourmentent, rayonnent. En déclinaison de gris, les mois défilent comme les prises de conscience, et puis on referme le bouquin en espérant que quelque part sur le chemin des jacquets, il a trouvé ce qu’il cherchait… en se disant qu’on a peut-être encore aussi des trucs à chercher…
Entre errance introspective et quête de quelque chose de plus grand, vous ne trouverez peut-être pas dans cette bande dessinée ce que vous espériez ou imaginiez rencontrer mais je vous souhaite, comme Blaise Pruvost au terme de son travail et moi à l’issue de ma lecture de pouvoir écrire :
« Après quelques péripéties, j’ai trouvé une route. »


Chronique de Louna Angèle.

© Éditions Steinkis, 2023.

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