Celle qu’il n’attendait pas

Lorsque Camille, jeune femme un peu perdue, se lance à la rencontre du célèbre écrivain Roland Mars, avec qui sa mère a eu une aventure d’un soir, se doute-t-elle qu’elle va vivre, dans une étrange demeure, un voyage initiatique intérieur aussi merveilleux et stimulant qu’effrayant, et en sortir transformée ? Avec Celle qu’il n’attendait pas, Makyo nous propose un scénario original, une bande dessinée qui se lit d’une traite, aux éditions Delcourt. Luca Casalanguida nous amène, par une mise en dessin dynamique, à découvrir notre part animale et parcourir, avec l’héroïne, un chemin introspectif reliant nos peurs à nos vies passées. Marco Ferraccioni et Ilaria D’Angelo réalisent une mise en couleur réaliste, qui sait jouer des tons chauds ou froids et des clairs obscurs entourant les secrets… Une œuvre qui vaut le détour, qui aborde aussi la question des violences faites aux femmes, et qui plaira aux amateurs de littérature ; certaines scènes brutales étant à déconseiller aux plus jeunes.

Dès les premières pages, le lecteur est interpellé par la scène introductive, violente, primitive, ancestrale, composée de sang et de feu. Quel rapport avec la jeune femme, qui s’assoit tous les jours devant un grand bâtiment mystérieux ? Camille, dont les parents sont morts, est serveuse dans un bar tout comme une amie, Amélie. Elle s’interroge sur les livres de Roland Mars reçus en héritage. Or, avant de mourir, la mère de Camille a également envoyé une lettre à son ancien amant d’un soir, lui indiquant que Camille pourrait être sa fille spirituelle… La rencontre est inévitable, et des plus surprenante. Le vieil homme propose un travail à Camille, consistant à s’occuper durant un mois de ses plantes dans la première salle de sa maison, sans jamais passer la porte vers la deuxième salle… Amélie qui s’inquiète face aux changements chez sa camarade, décide d’aller l’espionner. Elle la découvre assise sur un siège, au milieu d’une pièce, face à des animaux empaillés. Quel sens de rester ainsi sans bouger durant quatre heures par jour ? Et lorsqu’Amélie est prise au piège par un prédateur, les rôles s’inversent et c’est avec une sauvagerie étonnante que Camille défend la victime. Est-elle la personne qui pourrait prétendre à la succession de la maison de Roland Mars ? Celle-ci étant pensée selon les plans du temple du Louxor, quel en est le pouvoir, concentré dans la dernière salle ?

Le trait, vif, sait se faire anguleux dans un moment malsain, pour nous transmettre le mal-être qui s’emparent des personnages – que ce soit des jeunes femmes harcelées ou agressées par des hommes ou des scènes barbares du fond des âges. Il nous transporte en différents lieux et époques, avec une variété de situations, passées, nocturnes, ou encore animales, sans perdre de vue le fil rouge du récit, déroulé à chaque case. Le rythme s’équilibre entre actions, discussions ou instants plus contemplatifs. Quand l’angoisse cède la place à la force, l’intelligence et la détermination, le regard de Camille se fait délicieusement félin.

Un scénario enlevé, qui nous rappelle que si nous portons le poids du passé, nous pouvons choisir nos actions et notre avenir. Un hommage aux écrivains, représentants de la connaissance, aux femmes qui ont plus de force qu’on ne l’imagine… Le tout relevé par l’étincelle d’imagination qui parvient à aiguiser la curiosité du lecteur, accompagnée d’images saisissantes. Une BD qui colle bien au thème des prochains rendez-vous de l’histoire, début octobre à Blois : « des vivants et des morts » !

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.

© Delcourt, 2023.

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