POLTRON MINET T1: La voie romane

Faire des animaux nos alter-ego, doués de parole, c’est mettre en lumière nos comportements, dans ce qu’il y a de meilleur comme de pire. Jean de La Fontaine l’a depuis longtemps démontré. Et quand c’est fait en bande-dessinée, avec humour, sensibilité et intelligence, il n’y a plus qu’à se régaler!  La voie romane , premier tome de Poltron Minet, nous raconte l’histoire du petit chat Minet, cherchant sa jeune maîtresse, Romane. Paru aux éditions Dupuis, le livre a bénéficié de l’écriture subtile et agréable de Mayen au scénario, et d’une jolie mise en dessin et couleurs, aussi douce que riche en péripéties et références par Madd. Cette histoire d’aventure est adaptée aux enfants, qui en saisiront les subtilités à partir de 7-8 ans. Aussi drôle que philosophique, elle pourra plaire à tout public.

Minet coule des jours heureux auprès de sa famille. Caresses, repas, vacances dans le sud à jouer avec lézards et papillons… Mais la nuit venue, horreur ! Romane a disparu… Après une nuit pelotonné, dans une forêt aux bruits inquiétants, Minet est découvert par Hardi lapin et Avare écureuil. Les deux compagnons, scandalisés par sa nudité et sa posture sur quatre pattes, lui ordonnent de se lever et l’habillent décemment. Puis ils l’accompagnent auprès d’un ancien chat du village. Car oui, ils habitent des maisonnées à la lisière du bois, et ont édicté des règles : ne pas parler aux humains, ne pas pratiquer le cannibalisme, se respecter… Le chat vétéran retrouve son nom en évoquant ses souvenirs d’animal domestique : Gandalf. C’est donc avec un irrésistible clin d’œil au seigneur des anneaux que chat, écureuil et lapin, tous de petite taille, le quittent pour se lancer dans leur quête : retrouver Romane. Féroce renarde, chef des gardes du gué portant bien son nom, fait pourtant preuve d’humanité et devient une complice fidèle. Minet passe avec succès l’épreuve du roi, lui donnant au passage une belle leçon sur sa civilisation, faussée par ses interdits et ses peurs. Et il continue sa route semée d’embûches…

Les dialogues, croustillants, s’enchaînent. Ils nous éclairent sur la façon dont on se (mal)traite entre humains et sur la condition animale. Les hérissons sont bannis parce qu’ils continuent à manger des serpents, sous prétexte que ce ne sont pas des mammifères… Interpellant notre distinction entre animaux domestiques et animaux d’élevage. Un passage en fourrière en fin d’album évoque également la différence de traitement entre membres d’une famille et animaux abandonnés. L’indignation de Minet nous touche au cœur.

Le dessinateur opte pour une palette de couleurs douce et chaude, délicatement appliquée à l’aquarelle. Elle est rehaussée de contours de dessins sensibles et lumineux déclinant violet, orange, marron et blanc plutôt que noirs. Vu de l’œil d’un canidé, l’autoroute se transforme en rivière de vifs argents – phares aveuglants et courant vif. Aux scènes de campagne magnifiquement ombragées par les arbres succèdent des scènes d’action endiablées, à la hauteur de la vélocité d’un renard ou d’un chat. Toutes les émotions passent dans les yeux de nos personnages poilus, qu’ils affichent un regard triomphant, surpris ou scandalisés, ou s’emplissent de larmes touchantes… Nous laissant avec un irrépressible besoin de connaître la suite des événements.

Objectif totalement atteint pour cette BD décalée et aboutie : nous mettre à la hauteur de nos félins préférés pour mieux prendre de la hauteur sur la condition humaine et animale. Elle est d’ailleurs sélectionnée au festival Bd BOUM pour le prix ligue de l’enseignement 41 pour le jeune public : une reconnaissance méritée !

© Dupuis, 2023.

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