LES HORIZONS AMERS

Alors que s’est achevée la coupe du monde de foot féminine en Australie, difficile d’imaginer qu’en 1810, ce continent était encore pour l’essentiel terra incognita. Et pourtant, il en a fallu du courage et de la persévérance pour en faire le tour et la cartographier… C’était le rêve de Matthew Flinders, jeune officier anglais de la Royal Navy. Laurent-Frédéric Bollée, déjà auteur de plusieurs romans graphiques sur la naissance de l’Australie moderne, consacre une BD à son expédition : « Les horizons amers« , parus aux Éditions Robinson et soigneusement illustrée par Laura Guglielmo. La compétition est rude, aussi bien avec les éléments qu’avec les Français, également lancés dans la course. Et la guerre entre la France et l’Angleterre ne va pas arranger les choses.

En 1800, le géographe Matthew Flinders a la fougue de la jeunesse, celle de l’amour, et celle de l’assurance. Il a la certitude de pouvoir répondre à la question : qu’y a t-il au milieu des côtes découvertes précédemment, de Nouvelle-Hollande et de Nouvelle Galle du Sud ? Ne pouvant emmener sa femme à bord de l’Investigator, il lui promet d’être de retour sous 3 ans… Mais l’exploration des criques est laborieuse et s’avère parfois dangereuse… La rencontre avec Nicolas Baudin, chef de l’expédition française concurrente, fait prendre conscience au protagoniste qu’il y a bien une guerre qui est en train de se jouer, y compris sur le plan moral. Et l’enchaînement des éléments, de compagnons blessés aux escales insalubres apportant de graves maladies sur le pont, des échouages à l’emprisonnement, ne laisseront guère le temps à Flinders de s’exprimer. Ses obsessions deviennent simples : rentrer, revoir sa femme et publier ses résultats cartographiques. Il lui faudra attendre 1810 pour revoir son pays natal, et la parution n’aboutira qu’au crépuscule de sa vie.

Planches assombries par des nuages noirs et une pluie dense, plans à contre jour, visage fermé, sourcils froncés puis personnage à terre, abattu par une déception intense : dés les premières pages, nous sommes plongés dans une ambiance graphique correspondant bien aux difficultés de parcours rencontrées. Pour autant, le travail de dessin est intense et aussi minutieux que celui du cartographe : chaque page nous régale de détails aborigènes ou coloniaux, de l’architecture aux lustres, des tapis aux animaux empaillés sans oublier les mappemondes. Les mises en scène de bateaux sont nombreuses et somptueuses, le découpage est précis comme un papier millimétré, les contrastes saisissants. L’entrée dans les terres et la rencontre avec ceux qui étaient déjà là est un point d’orgue du récit : une scène marquante dans un écrin végétal verdoyant.

Le film Oppenheimer a remis la question sur le devant de la scène : un scientifique peut-il fermer les yeux sur les conséquences du progrès qu’il apporte ? Peut-il alerter ? Doit-il réussir quel que soit le prix ?

Derrière le récit de l’explorateur, c’est cette question qui traverse l’album. Des vies ont été sacrifiées pour les navigateurs malheureux et leurs familles comme pour les aborigènes. Terres accaparées, identités volées. « Horizons amers. ».. Au pluriel. Un one shot saisissant et éclairant, aux dialogues riches, touchant à la fois à l’Histoire, à la géographie et à la philosophie… Sans oublier les différentes facettes de la personnalité humaine.

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel

© Éditions Robinson, 2023.

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