Il y a 70 ans, l’Europe avait le souffle coupé, victime du fascisme, en plein cœur de la Seconde Guerre Mondiale. Heureusement, en France comme ailleurs, la résistance s’était organisée en une multitude de groupes, avec une portée internationale. Une organisation, en particulier, qui aidait les pilotes alliés, s’est avérée décisive. Des décennies plus tard, la dernière survivante, Christiane Saldias, témoigne dans une bande dessinée soignée intitulée Le réseau comète – La ligne d’évasion des pilotes alliés . Grand Angle a réuni une brillante équipe, très complète, pour rendre hommage à ces héros : Jean Yves le Naour au scénario, Marko au story-board, Iñaki Holgado aux dessins, Aretha Battistutta à la couleur. Et si l’histoire est forcément sombre et les victimes nombreuses, ne craignez pas un récit déprimant. C’est autour de la préparation d’un plat basque, l’axoa, que l’histoire nous est contée, apportant douceur et résilience à ce témoignage inspirant, qui offre également quelques pointes de malice à la hauteur des actions effectuées au nez et à la barbe des ennemis. Un résultat réussi, qui vaut le détour, dès 10 ans ; avec en prime 8 pages documentées en fin d’ouvrage permettant grâce aux photographies, précieuses, de mettre des visages sur des noms.
Christiane était la plus jeune du réseau : 14 ans. « Une gamine, personne ne se méfie d’elle ». D’ailleurs, cette organisation était majoritairement composée de femmes. Un atout pour accompagner des hommes seuls, un couple attirant moins l’attention… Et il en fallait, de la discrétion, pour faire parcourir à ces soldats, ne parlant pas français et sans-papier, les 1 000 kilomètres de « la ligne ». Chacun était un petit rouage, mais aussi un héros, des belges quadrillant le pays pour pouvoir récupérer les parachutistes, aux personnes procurant une nouvelle identité, en passant par les guides et les passeurs. En cas d’arrestation, c’était la mort ou la déportation. Et l’arrivée dans la montagne n’était pas la fin du danger. Si les évadés croisaient la Guardia civil, les gendarmes de Vichy ou les Allemands, la réaction était immédiate et sans pitié. Alors, les astuces étaient nombreuses : portez un béret, fumez des cigarettes comme les Français, au coin des lèvres et totalement, car le tabac est cher, et surtout, ne parlez pas, votre accent vous trahirait. Heureusement, des contrôleurs de train aux douaniers, ils étaient nombreux à aider aux passages, avec un sourire complice. Et les couvertures étaient audacieuses : faire du marché noir avec l’ennemi ou les restaurer à l’endroit même où logeait les visiteurs, oser faire du gringue pour détourner l’attention, voire même porter l’uniforme à croix gammée pour récupérer un blessé. Andrée de Jongh, fondatrice du réseau et femme d’exception, sera arrêtée en 1943, mais survivra à la déportation. Une réorganisation permettra à l’action de continuer.
Dans cet album abouti, la colorisation sublime l’histoire. Les événements passés se déclinent en planches sépia et bleu nuit, la période nocturne étant propice à l’action. Les jeux de lumière varient d’un avion en feu aux reflets de la lune, des phares d’une voiture à l’aube naissante. Bruits et mouvements, chacun est sur le qui-vive, et, comme le dit le passeur : « pas de cigarette, nom de dieu. On voit l’incandescence à des centaines de mètres ». Costumes et décors sont au rendez-vous. Rouge le gilet de la jeune Christiane, rouge les pans de bois des maisons basques… Rouge le sang versé. Courage voire témérité se lisent dans les yeux de chacun, et lors d’un interrogatoire, le rire de la cheffe perçant les murs est là pour dire haut et fort à chacun : ne vous soumettez pas !
Près de 800 aviateurs ont été récupérés et évacués par Comète. 700 membres de la ligne ont été arrêtés, 290 ont été exécutés ou sont morts en déportation. Ces hommes et ces femmes ne se sont pas posés beaucoup de questions en entrant dans la lutte : il fallait le faire, et ils l’ont fait. Le jeu en valait-il la chandelle ? Oui, pour dire à l’Allemagne qu’elle n’avait pas remporté la guerre, et pour que les pilotes tiennent bon psychologiquement, que l’Angleterre ne soit pas envahie. Quelle leçon d’humanité ! Et elle est parfaitement transmise à travers des dialogues fidèles et un témoignage précieux. Pour finir, laissez-moi reprendre la requête de Christiane : « si l’on n’y prend pas garde, j’ai peur que la nuit revienne nous envahir. Dites-moi que vous n’oublierez pas. »
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.

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