EMKLA

Dans ce village en lisière de forêt au bas des massifs, vivent des êtres humains rugueux, aux croyances archaïques. Depuis leur plus jeune âge, plane sur leur tête le châtiment diluvien d’une représentation divine malveillante, qui contraint les personnes de la petite communauté à n’enfreindre aucune des lois primitives qui régit le hameau. Peggy Adam nous révèle un album d’une force magistrale avec Emkla publiée aux éditions genevoise Atrabile.

Notre héroïne, nous l’appellerons comme ça, se sent bien à l’étroit dans le bled où elle grandit. Elle aimerait partir en exploration au-delà du torrent et pourquoi pas rencontrer les « autres » qui habitent au bas du mont. Mais c’est interdit, Emkla rentrerait dans une colère noire et sa sentence serait terrible. Il faut s’y plier, ne pas faire d’esclandre et respecter les coutumes. Pas simple de rester à sa place quand on est adolescente et que sa propre mère venait de cet ailleurs. Cette maman qui, un beau jour, s’en est allée et n’a plus donné signe de vie.

Aujourd’hui, c’est le jour du sacrifice. La jeune fille y a pour charge d’énoncer le serment. La bourgade est en effervescence, tout le monde donne le meilleur pour que la fête soit belle. Le moment tant attendu arrive, la gamine pas très à l’aise s’emmêle un peu les pinceaux. Malgré tout, l’esprit leur envoie un signe, ils seront encore protégés pour l’année à venir.

Certains enfants ont du mal à suivre les règles, notre entremetteuse et sa sœur font partie de ceux-ci. La vallée devient sèche, l’eau vient à manquer, les récoltes pourrissent et les animaux se meurent. Il faut aller vérifier l’état du bisse, le papa des filles et leur cousin s’y collent. Les jours passent, et les deux parents ne reviennent pas. La caractérielle fulmine, voudrait partir à leur recherche, mais elle n’en a pas le droit. Ils vont revenir, tout le monde en est persuadé. L’avenir va en décider autrement. Il n’est pas facile d’obéir, en particulier quand les péquenauds du coin vous voient comme un individu perturbateur. À force de provoquer la divinité, les éléments vont se déchainer. Pour sauver son patelin la demoiselle n’a qu’une solution, quitter ses compagnons et affronter son destin…Sa quête va être jonchée d’embuches, mais également de réponses à ses nombreuses interrogations. La vie n’est pas un fleuve tranquille…

Peggy Adam nous avait habitués à des recueils aux traits simples mais efficaces. En 2005 paraît chez Atrabile sa première bande dessinée Plus ou moins…le printemps. Roman graphique en bichromie noir et orange. L’année suivante arrive Plus ou moins…l’été dans les mêmes teintes. Cet été-là, on espère déjà que suivra rapidement l’automne puis l’hiver. Si le prochain arrive rapidement, en 2007, et passe à une bichromie en noir et bleu. Il faudra finalement attendre pas loin de dix ans pour enfin découvrir l’ultime volume. L’autrice a passé des années à douter, à se demander si elle allait arriver à la fin de ce cycle saisonnier. Il faut toujours garder espoir et croire en ses capacités. Entre les deux parutions, l’artiste n’est pas restée les bras croisés. Luchadoras, sort en octobre 2006. Pas de couleurs cette fois pour un récit d’une impressionnante dureté. Il relate les maltraitances et disparitions infligées aux femmes de la ville Ciudad Juarez au Mexique. Six ans plus tard, arrive en librairie La gröcha. Une histoire qui fait froid dans le dos. On y fait face à une étrange épidémie…Cela ne vous rappelle pas quelque chose ? Arrive 2019, et son tout premier titre coloré, Les sales gosses. Cette BD met en scène une bande de copains qui progresse gentiment vers l’âge adulte. Après quatre années de longue attente, voilà enfin la nouvelle œuvre de cette artiste talentueuse. Pour ceux qui comme moi la suivent depuis ses débuts, ils vont être éblouis par cette nouvelle réalisation. L’ouvrage est relié et réalisé à l’aquarelle. Le rendu est tout bonnement prodigieux. Emkla, est à la fois poétique et percutant. Tous les ingrédients se trouvent réunis pour faire de cette création du très bon Peggy Adam . Folklore régional, obscurité et désolation. Je n’ai plus qu’une dernière chose à déclarer, il fait déjà partie de mes gros coups de cœur de cette année. À ne rater sous aucun prétexte !

Chronique de Nathalie Bétrix

© Atrabile, 2023.

Laisser un commentaire