Gisèle Halimi est née le 27 juillet 1927 à La Goulette en Tunisie, et morte le 28 juillet 2020 à Paris. Rendons lui hommage en cette semaine anniversaire… Si l’on connaît le nom de l’avocate, célèbre militante féministe, se pencher sur sa jeunesse éclaire d’un jour nouveau son parcours et la force de ses convictions : c’est ce que nous proposent Danièle Masse, au scénario, et Sylvain Dorange (dessins et couleurs), aux éditions Delcourt dans la collection Encrages, à travers le bel album Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne . Elle a enseigné à l’université de Toulon, lui dispose déjà d’une belle biographie, souvent des biopics originaux et riches de sens : un beau tandem à l’œuvre pour un résultat dépaysant et très réussi – scénarios et dessins aboutis, couleurs élégantes – que je vous conseille vivement.
L’inégalité des sexes est criante dès la naissance de Gisèle. Déçu qu’elle soit une fille, son père recule l’annonce de sa naissance, et sa mère Fritna déplore une malédiction. La mort accidentelle du petit frère, André, contribue à faire de Fritna une mère taciturne, exigeante et peu maternante. Il faut dire qu’elle dépend de son mari pour tout, même pour l’achat d’un tablier. Face à la dépendance de sa mère à son père, à son fatalisme à ce que le destin des femmes soit de subir, Gisèle est déterminée : « moi, j’aurai de l’argent et je n’aurai pas besoin d’un homme pour faire ce que je veux ! ». Elle se rêve en Kahina, chef guerrière. Et si les parents se sacrifient pour que leurs fils fassent des études, c’est Gisèle qui obtient de bons résultats scolaires. Vive d’esprit, elle s’interroge sur Dieu, sur les différentes communautés de son pays, s’inspire de ses lectures pour imaginer son avenir luttant pour défendre les opprimés. Humiliée par sa mère quand elle mouille ses draps ou pour préparer le goûter de son frère, elle n’hésite pas à entamer une grève de la faim pour ne plus être la servante de la gente masculine et garder du temps pour ses devoirs. Mais même si son père suit un schéma d’éducation à l’ancienne, il montre de l’amour pour ses filles, et elle reçoit aussi le soutien de son oncle communiste.
Elle doit aussi subir l’antisémitisme de son institutrice ; et dénonce les injustices envers les Arabes dans sa Tunisie colonisée. Naturellement, une fois la Seconde Guerre Mondiale déclarée, elle souhaite s’impliquer, auprès des communistes ou en fondant l’union des jeunes filles tunisiennes. Une fois son bac en poche – mention très bien, évidemment – elle aura l’administration à l’usure, faisant le pied de grue durant un mois et demi afin d’ obtenir un ordre de mission pour aller étudier le droit à Paris.
Derrière un trait assez rond, chaque case révèle des détails minutieusement choisis : un vêtement, un décor, un paysage… Les couleurs sont au rendez-vous, avec un fil conducteur composé de couleurs miel et turquoise traduisant à merveille l’ambiance tunisienne. Chaque case est imprégnée de motifs évocateurs, de l’architecture mauresque à l’oranger dans la cour, des coiffes aux tuniques, des bâtiments coloniaux aux palmiers les encadrants… La curiosité de Gisèle nous emmène en visite au Bardo, grand musée de Tunis, ou à la découverte de ruines ; les vacances sont l’occasion de belles vues sur le port de la goulette. Mais l’enfance de notre héroïne n’est pas idyllique, ses regards noirs et ses pleurs en disent long sur son combat permanent. L’angoisse de certaines nuits, pour notre jeune rebelle, n’est pas oubliée lorsque les planches se font bleu nuit. Mais complicité et combativité sont aussi souvent au rendez-vous.
Ce biopic offre une tranche de vie et d’Histoire très intéressante : il nous ouvre à une culture étrangère, porte un message de liberté et d’égalité des sexes, nous plonge dans une période complexe sur le plan géopolitique et, surtout, nous ramène à l’enfance, période structurante fondamentale. Gisèle se révèle d’une détermination sans faille, pour ne pas se marier mais étudier, gagner son indépendance et devenir avocate. Un parcours inspirant, avec une pensée pour toutes les fillettes encore privées d’éducation et d’avenir dans le monde.
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.


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