Quelle magnifique couverture ! Cette grande vague, majestueuse, sonne forcément comme un appel au surf. Elle entoure le doux visage d’une jeune fille, à qui les cheveux blancs et l’aura de fines bulles donnent un caractère irréel… Il faut dire que Sofia, la nouvelle bande dessinée tout public de Davide Tosello chez Dupuis nous plonge dans un univers tant maritime que numérique – rappelé par la toile de points et la texture électronique en dernière de couverture. Et à ce propos, le constat est sans appel : saturé par notre utilisation intensive, le web s’effondre. Alors que Sofia libère son entité jumelle sur le web et s’en déconnecte, sa sœur Téa s’accroche à une légende : celle de la grande vague qui permettra de créer de nouveaux espaces de stockage. Internet sera-t-il sauvé ou détruit ? Un scénario moderne réussi aux airs de Matrix, un ensemble graphiquement très abouti, des personnages variés, une héroïne courageuse : un grand oui !
L’histoire démarre sur une belle cession de surf. Sofia respecte les codes de « la plage de la chaise rouge » – donnant son nom à ce 1er opus, faisant corps avec la mer et ses flots. Mais le travail l’appelle. Plutôt que de trouver l’antivirus exigé par son antipathique client, elle décide de libérer le virus, nommé Candy. Elle a également créé un écho virtuel d’elle-même, lui donnant tous les traits de sa personnalité et ses propres données : messages, photos, musiques, posts… Elle lui a même codé une véritable conscience. De son côté, quelqu’un a envoyé à Téa, qui contrôle des sentinelles en ligne, la date de la grande vague ! Le 21 juillet 2024. Mais où la trouver ? Et qui l’a créée ? Sofia, partie en skate vers la plage, roule à vive allure au milieu de la route. Et soudain, tout bascule, nous suivons désormais son avatar… Sa sœur, obligée d’appliquer la loi sur l’effacement des données des défunts, se promet en apportant ses archives de retrouver et sauver sa sœur. Sofia, dont la mémoire a été réinitialisée, recherche son identité à travers les îles ayant des vagues actives. Traquée par les effaceurs – les « gigis », elle va recevoir l’aide de Candy, et des logiciels qu’elle a créés : Emo – un petit singe, et Vicky, une jeune rousse déterminée.
Le dessin est gracieux et puissant, travaillé en couleurs denses qui donnent corps à l’océan. Et l’univers est délicieux, à la fois digital, féerique, et empreint d’une ambiance australienne composée de sable, de glisse, d’embruns et de course en van. Sofia reçoit l’aide d’une balise-ballon en forme de poisson très kawaï, Candy combat les gigis à l’aide d’une déferlante de papillons verts, et la gardienne du web – aussi élégante qu’effrayante – déploie une myriade d’araignées noires, mi-noiraudes, mi-robots. L’action est au rendez-vous, les cases suivent un découpage dynamique et entraînant, accompagné de grandes onomatopées accentuant les mouvements. La palette aux nuances pastel décline les nuances du vert d’eau numérique aux turquoises, beiges et roses littoraux. L’eau est omniprésente, la trame enrichie d’effets digitaux et aquatiques intéressants. Cerise sur le gâteau, une agréable playlist est proposée et prend la forme de cassettes audio très vintage.
Jouant admirablement sur l’expression « surfer sur le web », Davide Tosello nous propose une histoire finement construite, riche en péripéties et références, de Matrix aux jeux vidéos en passant par la culture japonaise – sans oublier l’esprit zen de la communauté du surf. Alors que l’intelligence artificielle prend de l’ampleur, il nous interroge sur notre consommation effrénée du monde virtuel, et nous offre l’occasion de retrouver plus d’authenticité et d’imagination, à travers une expérience riche. Lu et approuvé par toute ma famille, qui attend déjà la suite. Rafraîchissant !
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel


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