Ça bouge chez la distinguée concurrence à deux lettres. DC Comics a décidé de secouer le cocotier et de recruter des artistes de talent pour dynamiter sa collection. Ram V, Rafael Albuquerque et Dave Stewart héritent de la série Detective Comics. Alors attention car Batman – Nocturne aux éditions Urban Comics propose une ère nouvelle du Caped Crusader. Le changement, c’est maintenant !
Bruce Wayne n’est pas au mieux de sa forme…
Selina Kyle a rompu leurs fiançailles en prenant la poudre d’escampette. Alfred Pennyworth a eu la mauvaise idée de mourir. La guerre du Joker a laissé Gotham City à feu et à sang. Les capitaux de Wayne Enterprises ont fondu comme neige au soleil. L’asile d’Arkham a explosé en emportant une grande majorité de ses occupants. En bref, c’est de nouveau le no man’s land dans la ville et le début des galères pour la chauve-souris.
Malgré toutes ces péripéties, le Chevalier Noir lutte contre le crime avec acharnement.
Lors d’une intervention dans le port de la cité, une étrange mélodie se fait entendre. Le son le déstabilise tandis qu’il engage le combat face à une monstruosité qui finira quoi qu’il en soit en cendres, une simple opération de contrebande vire à l’inhabituel. La présence et la mise en garde de Talia sur les lieux renforcent un sentiment anormal, quelque-chose d’énorme se prépare.
Mais Bruce a l’impression de se ramollir, il n’a plus la niaque. Les tragédies récentes ont eu raison de sa motivation. Suite à la récolte et l’analyse des preuves matérielles, une boîte à musique au mécanisme très ancien attire son attention. Se pourrait-il qu’au contact sonore de cette antiquité, son comportement ait pu changer ?
Cette affaire ouvre de multiples pistes avec en ligne de mire Ra’s al Gul et la famille mafieuse des Orgham. A comparer, la funeste Cour des hiboux ne serait que du menu fretin à la limite de la vaste blague.
Après avoir rédigé sur Swamp Thing Infinite une magnifique lettre d’amour rapport aux épisodes intemporels d’Alan Moore, la nouvelle étoile montante et superstar du scénario Ram V débarque dans l’univers du célèbre justicier. Comme Chip Dzarsky, l’auteur part d’un postulat simple auquel il mêle polar et atmosphère surnaturelle, Batman s’y prête à merveille. Ram V aime briser les archétypes, il gratte afin d’offrir un point de vue original et suscite la curiosité du lecteur. Le récit se place d’emblée à double niveau, l’intrigue mixe effroi et classicisme. Voici donc une aventure où le personnage principal est faillible et en proie au doute. Wayne est submergé par le drame et la difficulté, rien ne lui sera épargné. Le héros en ressort grandi, l’homme derrière le masque gagne en essence. Cette technique narrative sublime la vision du symbole, de l’icône par excellence. Le vigilante aux oreilles pointues possède une galerie de vilains des plus impressionnantes, le conteur en profite pour inventer des antagonistes inédits à notre protagoniste préféré. Le casting séduit par sa profondeur et sa complexité, on retrouve le souffle typique du comic-book des années 70/80.
Le graphisme de Rafael Albuquerque et la colorisation de Dave Stewart sont homogènes. L’artiste confectionne une mise en scène charnue à l’aide d’un dessin merveilleux et plein d’entrain, il compile le crayonné sculptural à la délicatesse du trait. Son style associe le grandiose au mystère. Les décors, lorsqu’ils apparaissent sur les planches, sont fastueux et inébranlables. Le brésilien emploie le maximum de gros plans avec expressivité et férocité. Le découpage précis est aussi animé qu’alerte. Le gaufrier s’étale sur du 4/6 cases classique superbement exécuté en rendant l’action fluide lorsque l’histoire resserre son étau. L’encrage s’affiche avec raffinement et méticulosité, le noir se veut savoureux et intense. La texture s’y invite avec joie, le passage au sombre est sensationnel d‘hégémonie. Dave Stewart développe une palette de nuances pour coller au mieux au climax crépusculaire. Les tons vifs, malicieux jouent avec la densité et la richesse du contenu dès lors que le fantastique est convié. Il est cerné de pigmentations rougeâtres, orangées, bleutées et vertes très élaborées. Elles se matérialisent de manière surprenante et virevoltante. L’imagerie se veut tour à tour légère, ombrageuse mais 100% picturale. Mention spéciale aux couvertures énigmatiques signées Evan Cagle.
The Savage Shores, Toutes les morts de Laila Starr, American Vampires, Huck, Prodigy me viennent instantanément à l’esprit. Des titres qui me rappellent ô combien des moments de lectures endiablées et c’est à ces créatifs que je les dois. Voilà une reprise enthousiasmante orchestrée par un trio de choc inspiré, je suis curieux de voir où cela va me mener.
Chronique de Vincent Lapalus.


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