S’il y a bien une leçon que nous donne le royalisme, c’est que les empires sont condamnés à disparaître. Le temps et les révoltes font leur ouvrage, les têtes couronnées et couillonnées passent à l’échafaud. Fabien Nury assisté de Matthieu Bonhomme et Delphine Chedru nous relate une page sombre de la colonisation européenne avec Charlotte Impératrice III : Adios, Carlotta aux éditions Dargaud. Comme il est dit dans la Genèse : «Car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière ». La belle-sœur de la grande Sissi risque de la mordre fortement.
La (basse-)cour de la haute aristocratie bat de l’aile, l’occupation des terres arides du Mexique par l’Autriche et la Belgique est un véritable fiasco aux proportions bibliques. C’est un bordel sans nom au sens propre comme au figuré.
Après avoir longuement délégué la gouvernance du pays à sa femme, cet imbécile de Maximilien revient aux affaires. Charlotte ravale ses frustrations en tentant de maintenir un semblant d’ordre. Ses généraux et conseillers l’ont dans le collimateur, ils souhaitent secrètement le retour de leur empereur coureur de jupons et mégalomane. Maximilien est un dément. La syphilis ne le ronge pas seulement physiquement, elle le dévore également psychologiquement. Leur couple part à vau-l’eau, les infidélités répétées de son mari insupportent Charlotte. Elle vit dans la crainte d’une quelconque transmission de MST, enfanter n’est guère une option envisageable.
Nos deux aliénés mais pourtant tourtereaux décident d’étendre l’annexion de l’Amérique du Sud d’une main de fer. Ils souhaiteraient envahir le Guatemala, le Honduras, le Brésil quitte à déplacer leur palais jusqu’aux ruines de la cité maya d’Uxmal. La folie les gagne peu à peu, leur rêve de grandeur s’écroule comme un château de cartes. La guerre coûte chère, Napoléon III retire ses troupes. Le Vatican mené par le pape Pie IX en fait de même tandis que le Monarque François-Joseph 1er désavoue son très cher cadet. C’est dans ce climat chaotique nourri d’insurrections, de coups bas, de mensonges voire d’alliances charnelles que Maximilien et Charlotte se retrouvent acculés. Ils s’efforcent de sauver les apparences pour anéantir la révolution menée par leur ennemi invisible Benito Juarez.
Quelle réaction peut-on attendre d’un peuple qui crève de faim et qui a déjà subi l’invasion espagnole sous Cortès ? Rien, si ce n’est une forte envie de rébellion et de soulèvement armé. Ça sent le sapin et le peloton d’exécution à plein nez…
Fabien Nury narre un conte de fée voué à l’échec, servi par un casting au destin incroyablement dramatique. Autant être direct, c’est un fin connaisseur de l’histoire avec un grand H puisqu’il renoue avec la performance de best-sellers comme Il était une fois en France, Katanga, Mort au Tsar et La Mort de Staline. Charlotte Impératrice s’assimile comme un docu-politico-fictionnel. Les faits existants, incidents authentiques se mêlent aux suppositions et à l’interprétation libre. De vrais personnages en côtoient d’autres purement imaginaires, Nury comble les brèches historiques grâce à un sens inné de l’hypothèse plausible et vraisemblable. L’auteur maîtrise la structure, le tempo et la musicalité de son récit. Le scénario est verrouillé, la forme narrative est solide et assez décompressée. Elle laisse de l’espace pour développer l’idylle entre le sanguinaire colonel Van der Smissen et l’héroïne principale telle la fin inéluctable de l’innocence. Très éloigné d’une production Disney et à mille lieux des amourettes de Robert Hossein et Romy Schneider, ce titre coup de poing se veut sulfureux et baroque.
Matthieu Bonhomme et Delphine Chedru sont des artistes à l’aise avec l’intrigue en offrant une mise en scène aboutie et fortement chargée en émotions. Ils proposent un volume fignolé jusqu’au bout des ongles. Le crayonné met en avant une part de féminité illustrative, le style semi-réaliste se fond à merveille avec l’écriture de Fabien Nury et lui rend justice. Une ligne claire modernisée à la fois belle voire géométriquement renversante se démarque dans les décors. Le trait souple s’adapte et accentue les particularités de certains protagonistes. Les espiègles écopent de nez pointus, les délurés abordent des coupes de cheveux improbables et les naïfs se croquent avec des lignes arrondies et etc. Les onomatopées sont dispersées avec parcimonie, le lettrage s’adapte à la situation. La caméra virevolte au gré des planches. Les cadrages sont tantôt serrés, aérés, spacieux ou tumultueux. Le découpage est digne d’un montage cinématographique, le séquençage se déploie souvent en plans larges sinon en longue focale. L’encrage est expressif, l’ombre le domine dans un amas d’aplats noirs lourds en signification. La colorisation n’est ni brillante ou polie. La pigmentation s’oriente sur un teint mat formel, elle vire au ton foncé avec peu de transparence. L’ambiance des westerns-spaghettis apporte une esthétique vaporeuse en se rapprochant de la pulvérisation colorée. Cette technique se consolide en un tourbillon de poudres teintées ne nuisant absolument pas à la lisibilité graphique.
En conclusion, nous sommes en droit de nous demander si Fabien Nury et les éditions Dargaud n’auraient pas pactisé avec la Dama de la Muerte pour élever cette série au rang de top bd de l’année ? Stéphane Bern peut sortir son service de cristal et surtout ses Kleenex !
Chronique de Vincent Lapalus.


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