…JE CONTINUE

La BD parfaite pour démarrer l’été en s’évadant ! Il vous est peut-être déjà arrivé de rêver de lâcher prise, de quitter votre travail, votre famille, de claquer la porte de votre vie présente en partant voyager, très loin, et sans retour en arrière ? C’est l’histoire du navigateur et écrivain Bernard Moitessier, que les éditions Michel Lafon proposent de découvrir ou re-découvrir, à travers un récit librement inspiré de sa vie. Larguant les amarres au sens propre, pour la première course en solitaire autour du monde sans escale, largement en tête, il écrit un jour ces mots, qui changent tout : « …Je continue ».  Magnifique titre, qui sonne comme une rupture nette, et annonce en même temps une persistance, une suite. Plutôt qu’une biographie linéaire, le scénariste Mathieu Siam a opté pour d’intéressants regards croisés, témoignages mettant en lumière différentes période de la vie du protagoniste et donnant du sens à son geste. Thibaut Lambert nous offre d’authentiques illustrations à l’aquarelle, de belles scènes de vie autour du monde. Une surprise graphique attend le lecteur, une superbe plongée dans le grand bleu au détour de certaines pages, réalisée par Mathieu Siam. Les deux confrères ont déjà brillamment collaboré à plusieurs reprises, par exemple pour Les frontières du douanier Rousseau. Après le bateau Damien l’an dernier, embarquez à bord de Joshua cette année ! 

Cette course, en 1968, était en soi un événement hors norme : premier tour du monde en solitaire et sans escale, avec 3 caps périlleux à franchir – Bonne Espérance, Leeuwin et Horn. Moitessier, qui va bien plus vite que les autres navigateurs, est promis à la gloire, récompense à la clé. Et puis ce message : « je continue vers l’est parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme ». Stupeur ! Son éditeur dépêche un émissaire à sa recherche. Chacun ayant des obligations, c’est le jeune et inexpérimenté Pierre Deménonval qui se porte volontaire, sortant de son confort dans le XVIème, ou au contraire sautant sur l’occasion de découvrir le monde. Chaque rencontre est l’occasion d’ouvrir une page dans la vie du héros : tourments à la sortie d’un livre ; aventures adolescentes paradisiaques, sur les bords du golf de Siam ; guerre fratricide ; étape du « vagabond des mers du sud » à Maurice… La malice est partout : un lance-pierre sert à transmettre le message d’abandon de la course, comme un pied de nez supplémentaire ; l’escapade d’un marin, déguisé en capitaine, offre à Pierre un repas haut de gamme, et une tranche de vie de Bernard, par la même occasion ; au moment des retrouvailles, le principal intéressé se cloître car « c’est l’heure de la vaisselle ». L’ensemble est riche en anecdotes et émotions. On aime l’art de la débrouille, du fait main. Bateaux artisanaux et merveilleux, plongeurs astucieux, Et puis, finalement, le vent de la liberté donnera des ailes à celui qu’on n’aurait pas suspecté !

Le dessin accompagne le récit riche en dialogues, se concentrant souvent sur les visages, les expressions. Les paysages ne sont pas oubliés, des bords de Seine aux reliefs d’Afrique du Sud, des rizières à couper le souffle au somptueux golfe asiatique. Et la vie partout, manchots, lézards, tortues, foisonnement sous-marin… Les traits, comme les cases, sont arrondis, la couleur au rendez-vous. Une douceur qui a sa part d’ombre, quand le ciel devient un dragon aussi majestueux qu’effrayant. « Bernard ne navigue pas avec Joshua, il danse. » Et quand on est avec lui, que l’on traverse l’horizon, le style graphique bascule. Fantastique idée et merveilleux cadeau que ces pleines pages à partir de cyanotypes, d’un bleu profond, sans contour net. Ode à la mer, à la nature, à la nuit… On se prête à rêver, et dans le même temps, on touche du doigt le côté absurde de notre société moderne.

Dans cet album, il est question de briser les codes, que ce soit pour aller rencontrer les dauphins et vivre au rythme du monde marin ou pour devenir paysan. Un cheminement qui devrait parler aux jeunes générations, une histoire dont se rappelleront leurs aînés. Et pour tous, une bouffée d’oxygène, une invitation au voyage, aux rencontres, à l’aventure. Libérateur !

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.

© Éditions Michel Lafon, 2023.

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