YÉZIDIE ! Le titre de cette BD, parue chez Dupuis, raisonne comme un cri. Il faut dire que la communauté yézidie, kurdophone, est devenue la cible privilégiée de Daesh – qui les prend pour des adorateurs du diable. Aurélien Ducoudray, scénariste de la région Centre – Val de Loire, est un ancien journaliste, qui signe ici un nouvel – et excellent – album nourri du réel, après avoir été primé pour Clichés de Bosnie, Amère Russie ou encore L’anniversaire de Kim Jon Il. Mini Ludvin, dont on aime beaucoup le trait dans Le grimoire d’Elfie, apporte la douceur de son style en contraste avec la gravité du scénario. Un choix judicieux de ce qui est montré ou non rend l’ensemble accessible à partir de 9 ans, dans cette collection « Grand public ».
Mounia et Nizra sont les deux malicieuses enfants d’Ahmad. La famille, yézidie, en apparence heureuse, souffre d’une terrible inquiétude : va-t-elle revoir les cousines adorées, Zéré et Nizra ? Et les filles, sont-elles en danger, elles aussi ? En effet, à l’arrivée de Daesh, la communauté musulmane était rassurante : « nous n’avons pas la même religion, mais nous vivons en bon voisin depuis si longtemps ! » Et pourtant, le chef des envahisseurs fait une annonce des plus violentes : le choix entre la conversion immédiate, la « jizya » – impôt qui s’avère le vol de toutes les richesses possédées, ou… Le glaive. Très vite, les hommes en âge de se battre sont emmenés, emprisonnés. Puis vient le tour de plusieurs fillettes, enlevées. Zéré et Nizra, deux jeunes ados, sont séparées, arrachées l’une à l’autre, chacune vers une destination inconnue… Heureusement, la résistance s’organise : les combattants, dans les montagnes, et l’oncle, qui négocie le rachat des esclaves sous une fausse identité. Zéré, présentée à un homme comme si elle était un animal, mord quand on lui demande de montrer si elle a de bonnes dents. Elle se retrouve dans une cellule sombre, avec une autre fille. Arriveront-elles à s’échapper ? Et si l’oncle avait été repéré ?
La structuration du récit alterne le quotidien de la famille d’Ahmad, qui pourrait être le nôtre, et le cauchemar grandissant pour Zéré, dont la vie a au contraire basculé. On aime les visages arrondis et les yeux grandis des filles, la gaieté naturelle des enfants, qui nous rappellent leur innocence. L’émotion est palpable et renforcée par les visages en gros plans. Incompréhension de la communauté. Cynisme de certains kidnappeurs. Terreur de l’enlèvement, pour la victime comme pour les proches, que les sanglots submergent par moment malgré leur tentative de continuer à vivre normalement. Et le soulagement, enfin. La coloration, aboutie, offre de délicates nuances, mettant en valeur les jolis yeux bleus des filles, mais aussi les larmes sur les peaux mates. Les tons chauds et lumineux du début de l’histoire laissent petit à petit place à des couleurs plus froides et plus sombres, sans que soit oublié le soin du détail dans le traitement des décors et paysages : Scène d’appartement, dans la ville, à la montagne ou en prison, de jour comme de nuit. Le découpage travaillé soigne les jeux de regards : on est conquis par la détermination, le courage et la tendresse des personnes, qui ont su garder également un peu de malice.
YÉZIDIE ! C’est bien un cri du cœur, qui a vocation à s’échapper depuis de lointaines montagnes jusqu’à tous les coins de France. Une intrigue haletante et émouvante, qui traduit une réalité terrible, tout en réussissant parfaitement son objectif d’être grand public. Elle fait la lumière sur une minorité, montre l’extrémisme de Daesh, et partage des valeurs universelles de résistance et d’insoumission des filles : à partager sans hésiter !
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.


© Dupuis, 2023.